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JUIFS ET CHRETIENS

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la comédie du christianisme et l’apprirent à leur descendance, non pas seiilenienl au gros de la tempête, alors que l’exil se compli<juait, comme en Portugal, de la douleur de laisser leurs enfants traînés iniquement de force aux fonts baptismaux, ou, comme en Espagne, de l’impossiljilité de sauver toutes leurs richesses, mais plus tard, dans des temps plus calmes, quand l’exil devenait possible sans ces complications douloureuses. Cette conduite ne leur inspirait aucun remords. S’affubler du masque du catholicisme et le transmettre de génération en génération, singer un zèle très vif pour la religion chrétienne, parut chose toute naturelle. Si on le pouvait impunément, on jetait le masque. C’est ce que tirent, pendant qu’en Espagne et en Portugal les marranes affectaient des deliors chrétiens, les marranes venus du Portugal (1593)à qui la Hollande protestante, qui avait secoué le joug de l’Espagne, accorda une existence légale (1O19) ; les marranes brésiliens entraînés par une colonie juive d’Amsterdam, quand la Hollande, grâce en partie à leur concours, eut conquis le Brésil (1624) ; les marranes, qui s’étaient établis en Angleterre sous les Stuarts, dès que la protection de Cromwell, avant l’existence d’une loi formelle, leur assura la liberté (1656), et, en France, ces marranes portugais, qui avaient pris pied à Bordeaux, avaient été autorisés à s’y fixer (1550) comme n nouveaux chrétiens », qui, traités de Juifs, avaient protesté qu’ils ne l’étaient pas, « mais très bons chrétiens et catholiques », et qui, dès que l’occasion fut favorable, peut-être en 1686, cessèrent de pratiquer le christianisme.

Cette duplicité religieuse, admise dans de telles conditions, érigée en système, A. Lbrov-Bkaulieu, qui certes n’a rien d’un antisémite, la constate et la juge de la sorte, Israël chez les nations, p. 227-229 : Il Des milliers et des dizaines de milliers de Juifs d’Afrique, d’Asie, d’Europe, ont abandonné extérieurement le judaïsme, se déclarant disciples de Jésus ou de Mahomet, pour obtenir le droit de vivre [ou, en général, de vivre dans le pajs que leurs ancêtres habitaient]. Des chrétiens, eux aussi, ont faibli, durant les persécutions… La différence est que les rabbins ont excusé, approuvé, parfois peut-être conseillé ce semblant d’apostasie… « Xous sommes d’Israël », disaient, en secret, les pères à leurs enfants, leur apprenant à renier devant les hommes la foi qu’ils leur transmettaient clandestinement. Des générations de fils de Jacob ont été ainsi formées à l’hypocrisie et au mensonge, dans ce qu’elles avaient de plus sacré… Etonnez-vous, après cela, si le Juif souffre moins que nous de l’ambiguïté. »

Quelques-uns des marranes qui revinrent au judaïsme se sont acquis de la notoriété : les plus connus furent les polémistes Elir Fklix Montalto, médecin de Marie de Médicis (-j- 1616) et Baltuazar Orobio de Castro ({- 1O87) ; Habib, en latin Amatls LusiTANUs, médecin du pape Jules 111 ; le médecin Isaac Cardosus, dont la Philosophia lihera parut à Venise, en 1678 ; lemédecin Abraham Zaccuto, de Lisbonne, qui se lit circoncire à Amsterdam(1625) ; Liivi BKN Jacob Habib, chef religieux de Jérusalem dont le rôle eut ipielque importance, auxvi’siècle ; Diooo PiHKs (] vers 1528), l’aventurier et pseudo-Messie ou lu’écurseur du Messie qui prit le nom de Salomo.v Malkuo, cf. D. Kauf.mann, In poème messianique de Salomon Malkho, dans la Itefue des études juives, Paris, 1897, t. XXXI’V, p. 1/ 1-127. Cette aisance à changer de religion, qui caractérisa les Juifs, ne fut pas étrangère à leurs chefs insignes. Jacob Franck (t 7y’). fut tour à tour juif, turc, catholique romain, catholique grec, sans perdre ses partisans ; il fonda une secte, dont il subsiste des débris en Pologne. Il

s’était donné pour une réincarnation de Sabbatai-Cevi. Sabbataï-Cevi lui-même avait pu confesser Mahomet devant le sultan et entraîner à sa suite de nombreux Juifs à l’islamisme sans que fût amoindrie son autorité sur ses disciples. Parmi les convertis peu sincères, ou dont la sincérité fut superficielle, se firent remarquer l’espagnol Matthieu Andriani, professeur d’hébreu, qui lâcha les catholiques pour Lutlier(1520) ; les frères Weil, ou VEiL, de Metz, convertis par Bossuet et successivement prêtres catholiques, anglicans, anabaptistes, socinieiis ; Joseph (après son baptême, Jean) Pfeffkrkorn, l’un des protagonistes delà lutte contre les Juifs dans l’affaire de Reuchlin, condamné au feu à Ualle (1520) pour avoir profané l’eucharistie ; Jules Conrad Otton, qui mystifia les chrétiens dans son Gali Ilazaia, Nuremberg, 1 605, en altérant des textes hébraïques, et retourna au judaïsme ; Ff-rdinanb-François Engelsberger, baptisé (1 636), apologiste du christianisme, voleur et, comme tel, condamné à la pendaison et mort (1642) en reniant le Christ et en blasphémant. Il y eut, à faire profession de judaïsme, avec des marranes et des Juifs mal convertis, quelques rares chrétiens d’origine : le franciscain portugais DioGo de l’Assosiftion, qui fut brûlé vif à Lisbonne (1 603) ; un jeune noble, don Lope de Vera y Alarcon (i 644), que Manassk ben Israfx exalta dans son Espérance d Israël ; Jean- Pierre SpBCT, d’Augsbourg, qui, après avoir écrit un livre à la gloire du catliolicisme, adhéra aux doctrines des sociniens et des mennomites, et, à la fin, au judaïsme, sous le nom de Mo’isE Germanus ({- 1702) ; des chrétiens de la Pologne.

Un plus grand nombre de chrétiens furent non conquis mais touchés par le judaïsme. Des sectes protestantes eurent de l’affinité avec lui ; au premier rang, l’unitarisnie de Michel Servet et autres. La cabbale eut un succès immense auprès des chrétiens. On passa de l’admiration à des superstitions cabbalistiques. Les rabbins confectionnaient des amulettes magiques ; tout rabbin fut un peu considéré comme un magicien expert dans l’art de guérir les maladies et de préserver de tous les maux, comme un être mystérieux en possession de secrets redoutables. C’est un fait significatif que les assemblées de sorcières portent le nom de « sabbat ». Pour les masses, le Juif était le maître des sciences occultes. Des chrétiens usèrent d’amulettes en caractères hébraïques, dont le texte était d’inspiration cabbalistique, antichrétienne. La congrégation de l’Index condamna (iG mars 1621) des médailles de ce genre et l’écrit d’Ange-Gabriel Anguisciola, Délia hebraica meda » lia delta Maghen Dayids et Ahraliam(a disparu de l’édition de Léon Xlll, 1900).

?8. De 1789 à nos jours. — Des marranes d’Espagne et de Portugal continuèrent à vivre en partie double : chrétiens au dehors, Juifs dans l’intimité de la famille. De cette ténacité à feindre une religion haïe nous avons un exemple qui « semble invraisemblable )>, dit R. Natali, Il ghetto di Borna, p. 262. Le gouvernement portugais ouvrit, en 1821, les portes du royaume aux Juifs et permit l’érection d’une synagogue à Lisbonne. A son inauguration accoururent des fandlles entières des parties les plus éloignées du Portugal. C’étaient des marranes qui, [lendant plus de trois siècles, avaient gardé la foi de leurs pères tout en se comportant extérieurement comme des catholiques. Même revirement chez des Juifs de la Transylvanie. Cf. J. et A. Lémann, La cause des restes d’/sraël introduite au concile cecuniénitjue du Vatican, Lyon, 191 2, p. 180.

II se produisit des conversions suspectes dans le inonde qui fréquentait, à Berlin, le salon de Henriette Herz, dans la « Ligue de la vertu », ainsi