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PAIX ET GUERRE

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sera complétée, ennoblie par le i-especl de considérations supérieures de droit et de justice. L’équilibre réel des forces peut rendre longtemps dilUciles certains attentats contre la paix internationale. Il j>eut donner à l’Europe et au monde quelques gages de tranquillité précieuse dans le labeur séculaire et le développement historique de chaque peuple.

Mais que l’on n’aille pas ériger cette recette politique en doctrine juridique, sous le nom Ae principe de l’équilibre. Que l’on n’érige pas en maximes de droit public les solutions empiriquesdonnées en 16/|8 aux problèmes européens par les négociateurs des traités de Westphalie. Peu de théories jnridiques méconnaîtraient aussi radicalement les caractères essentiels du droit, que la théorie d’après laquelle l’équilibredes puissances aurait la valeur d’une règle adéquate, d’un principe qui se suffirait à lui-même : en un mot, deviendrait la formule souveraine de l’ordre international.

Non seulement l’équilibre des puissances pourra ne donner à la paix européenne que des garanties précaires, souvent fallacieuses (l’histoire des premières années du vingtième siècle suûirait à illustrer cette vérité) ; mais ce système, dès lors qu’il ne serait plus conditionne dans ses applications par le respect absolu de principes d’ordre plus élevé, pourra servir de prétexte à des réglementations parfaitement abusives ou absurdes. Il pourra même servir de justilication prétendue à mainte iniquité monstrueuse.

Les Etals qui se sont, à diverses reprises, partagé l’ancien royaume de Pologne par quotités proportionnelles ont commis ce détestable attentat en respectant avec une correction édifiante le principe d’équilibre. Dans chacun des congrès tenus depuis trois siècles par les puissances européennes, il serait facile de relever les innombrables échanges, trocs, marchandages de provinces et dépopulations, accomplis en contradiction avec le bon sens ou avec la morale et le droit, pour appliquer le principe sacrosaint de l’équilibre politique de l’Europe et du monde.

Le caractère immoral du principe d’équilibre, considéi-é comme règle suprême du droit des gens, apparaît à ce résultat constant que les frais des opérations compensatoires décrétées prr les diplomates des grands Etats sont inévitablement supportés par les puissances plus faibles. Dans cette voie perverse, les tractations internationales prennent quelque analogie avec les exploits d’une bande de brigands, dès lors que ce sont des brigands de haut vol qui exercent leur art avec les formes exquises de la courtoisie diplomatique.

Le principe d’équilibre portera donc toutes les mêmes tares indélébiles que les diverses morales de l’intérêt. Comme elles, ce principe dénaturera le caractère essentiel du devoir et du bien. Comme elles, il justifiera de scandaleuses violations de la justice et du bon sens, il autorisera de cyniques marchandages au détriment des faibles ou des maladroits, il sera l’excuse apparente et décorative des entreprises odieuses delà raison du plus fort. En un mot, faire de l’Equilibre des puissances la règle suprême des tractations internationales, ce sera ériger un droit prétendu qui sera la négation du droit.

D. llégime de la Sainte-Alliance. — Le traité qui porte réellement le nom de Sainte-Alliance est un pacte de caractère purement moral et d’allure mystique, par lequel les souverains de Russie, d’Autriche et de Prusse, auxquels presque tous les autres souverains de l’Europe allaient marquer leur adhésion, prenaient, en date du 26 septembre 1815, l’engage ment mutuel de s’inspirer dans leur gouvernement des doctrines évangéliques de paix, de justice et de charité sous l’égide du Sauveur des hommes, Jésus-Christ, Fils de Dieu. Ce pacte servit ensuite de symbole pour désigner l’organisation permanente que les monarques de la Restauration donnèrent à la politique européenne par les travaux du Congrès de Vienne et les traités de 1815. Nous désignerons donc, sous le nom usuel de régime de la Sainte-Alliance, le statut et le directoire européen organisé par les diplomates des grandes puissances victorieuses au lendemain de la chute de Napoléon 1er.

L’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et la Russie avaient contracté, le i’? mars 1814, la promesse réciproque de poursuivre « dans un parfait concert » leur guerre de coalition contre la France impériale, jusqu’à ce que « les droits de la liberté de toutes les nations » aient obtenu leur sanction légitime. Aucun des quatre Etats alliés ne négocierait séparément avec l’ennemi. Aucun ne déposerait les armes

« avant que l’objet de la guerre, nmtuellenient convenu

et entendu, n’eiit été atteint ». La paix ne serait conclue que d’un commun accord entre les quatre puissances contractantes, et, dans le futur traité, celles-ci aviseraient aux moyens de « garantir à l’Europe et de se garantir mutuellement le maintien de la paix " ; elles aviseraient notamment à se prémunir < contre toute atteinte que la France voudrait porter à l’ordre de choses résultant de cette pacilicution ». Après bien des péripéties, ce pacte devait avoir, au moins en partie, la réalisation qu’avaient désirée ses auteurs.

En effet, le dernier des traités de 1815, celui du 20 novembre, décide que les quatre confédérés de l’alliance de Chaumont, Angleterre, Autriche, Prusse, Russie, demeurent unis d’une manière permanente pour veiller à la stabilité de l’ordre de choses établi en Europe par les récents protocoles et pour décider les interventions diplomatiques on militaires que les circonstances rendraient opportunes. L’article 6 prévoit même la périodicité des congrès européens : Pour… consolider les rapports intimes qui unissent aujourd’hui les quatre souverains pour le bonheur du monde, les hautes parties contractantes sont convenues de renouveler à des époi|ues déterminées, soit sous les auspices immédiats des souverains, soit par leurs ministres respectifs, des réunions consacrées aux grands intérêts communs et à l’examen des mesures qui, dans chacune de ces époques, seront jugées les plus salutaires pour le repos et la prospérité des peuples et pour le maintien de la paix de l’Europe. »

Les congrès d’Aix-la-Chapelle (1818), de Troppau (1820), de Laybach (18ai) et de Vérone(1822) seront l’exécution normale de ce dispositif du traité de Paris, organisant un directoire européen, qui aura pour méthode la politique d’intervention et pour I)rogramme la sauvegarde de l’ordre public en Europe.

Quel ordre public ? En théorie, le statut européen est censé avoir pour base et pour règle idéale le principe delà légitimité, c’est-à-dire le respect des gouvernements consacrés par la tradition historique de chaque pays. En pratique, il aura pour objet le maintien des traités de 181 5, interprétés eux-mêmes selon les convenances politiques des i>uissances dirigeantes.

Du point de vue de l’organisation des rapports entre Etats, ce régime du directoire européen, au temps de la Sainte-Alliance, est l’institution politique et juridique qui, dans toute l’histoire de l’Europe moderne, se rapproche davantage du système permanent de juridiction et de sanctions internationales