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PAUL (SAINT) ET LE PAULINISME

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ces siècles d'égarement (Act., xiv, 16 ; xvii, 30), antérieurs à la lumière de l’Evangile, où le monde encore enfant n’avait reçu qu’un enseignement élémentaire (ta/., iv, 8-9 ; Col., 11, 16). Aquifera-t-oncroire qu’un homme animé de telles dispositions soit allé se mettre spontanément à l'école des païens et leur ait emprunté sciemment des pratiques ou des doctrines religieuses ? Voyons s’il est du moins possible de constater dans l’ceuvre écrite de l’Apôtre des influences inconscientes.

I. Saint Paul et la philosopbis païenne. — L'érudition classique de saint Paul n’est pas considérable. On n’a relevé chez lui aucun détail prouvant qu’il ait lu un auteur profane quelconque. Il y a, dans ses discours, trois citations de poètes. Mais l’une est un de ces mots passés en proverbe (I Cor., XV, 33 : Corrumpunt mores bonos coUoquia prava) qu’on répétait à l’occasion sans savoir qu’il était tiré de Ménandre. La seconde est un hémistiche court et expressif (Act., xvii, 28 : ToXi /à.p ma yémi èf^/jév) qui semble fait pour les citations et qu’Aratus et Cléanthe ont inséré dans leurs hexamètres. La troisième (Tit., I, 13 : Cretenses semper mendaces, malæ bestiae, ventres pifiri) n’est qu’un dicton satirique souvent décoché aux Cretois même par ceux qui n’avaient jamais ouvert les Oracles d’Epiménide. S’il est vrai cependant, comme cela semble problable, que la sentence alléguée devant l’Aréopage (Act., xvii, aS : In ipso i’ivimus et moyemur et sumus) est empruntée à la même pièce d’Epiménide intitulée Minos, il est possible que Paul ait eu de ce poème une connaissance directe. Cf. Rendel Harkis, St. Paul and Epimenides, dans VExpnsitor, octobre 1913. En tout cas, son érudition classique était fort restreinte.

On a souvent signalé d'étroits rapports entre la morale de Paul et la morale stoïcienne. On a supposé des relations directes entre l’Apôtre et Sénèque ; et la chose n’est pas impossible a priori, puisqu’il s’agit de contemporains, morts la même année ou à peu d’années d’intervalle. Une prétendue correspondance entre ees deux grands hommes a été plusieurs fois publiée, en particulier par Aubbrtin, Sénèque et saint Paul, étude sur les rapports supposés entre le philosophe et l’apdtre^, Paris, 1872, et, d’une façon plus critique, par Woulrnbrrg, Die Pastoralbriefe'^, Leipzig, 191 1, p. 36^-375. En la lisant, on est profondément surpris que saint Jérôme, sans en garantir l’authenticité, lui ait accordé assezd’importance pour assigner à Sénèque une place dans la liste des écrivains ecclésiastiques (/>e vir. ilL, 12 ; cf. Epist ad Macedon., cliii, 14).Personne ne l’avait signalée avant 892, date du De viris illustrihus. « Jamais plus maladroit faussaire n’a fait parler plus sottement d’aussi grands esprits. Dans cette correspondance ridicule, le philosophe et l’apôtre ne font guère qu'échanger des compliments, et, comme les gens qui n’ont rien à se dire, ils sont empressés surtout à s’entretenir l’un l’autre de leur santé. Il n’est pas une fois question entre eux de doctrines, et il ne leur arrive jamais de s’occuper de ces graves problèmes que soulevait la foi nouvelle. Cependant Sénèque est censé initié à tous les mystères du christianisme, il en reçoit et en comprend les livres sacrés, il le prêche à Lucilius et à ses amis… il raconte même qu’il en a parlé à l’empereur et que Néron paraît assez disposé à se convertir. Toutes ces belles choses sont ditessècherænt, dans des lettres de quelques lignes où le vide des idées n’est égalé que par la barbarie de la forme. B G. BoissiER, La religion romaine d’Auguste aux Anionins, Paris, 1878, t. II, p. 51.

Ecartons cette correspondance dont aucun historien sérieux ne fait plus état : amusement futile d’un esprit oisif ou supercherie littéraire d’un apologiste

malavisé, qui croyait grandir Paul en lui donnant pour disciple et ami le plus grand des philosophes romains. Il y a certainement entre les deux écrivains des rencontres assez frappantes d’idées et d’expressions dont on a voulu conclure soit que Sénèque était chrétien dans son cœur (Flbury, Saint Paul et Sénèque, Paris, 1853), soit que saint Paul s’inspire de Sénèque. On n’a pas remarqué que les passages servant de terme de comparaison n’appartiennent pas en propre à Sénèque, mais au fonds commun du stoïcisme. Il faut donc porter la question plus haut et se demander si l’Apôtre, peut-être sans le vouloir et sans le savoir, n’aurait pas subi l’influence de la morale stoïcienne. Le stoïcisme n’est pas un produit du sol hellénique. C’est une importation d’Orient. Ses fondateurs et ses principaux représentants étaient Sémites, ou du moins orientaux. Au premier siècle, la ville de Tarse était célèbre entre toutes par ses écoles philosophiques, où le stoïcisme était prépondérant. Autant de canaux par lesquels la doctrine du Portique pouvait arriver à l’Apôtre.

Mais, à y regarder de près, la thèse qui fait de Paul un disciple des stoïciens paraîtra bien précaire, bien invraisemblable. Les stoïciens se servaient, surtout en morale, d’une langue à part. Leur habitude de définir, de disséquer les notions, les distingue à première vue des autres philosophes. Pour constater que le lexique de Paul n’ofl’re aucun rapport avec celui des stoïciens, il suffit de comparer les liste » des vertus morales. Des quatre vertus cardinales, la force (mSpsix) n’est même pas nommée par l’Apôtre ; la tempérance (aoifpot ! Ùin)re l’est qu’une fois, dans les Pastorales (I Tim., 11, 9.16) ; la prudence (p/3 « v>jtiç) une fois aussi et appliquée à Dieu (Eph., i, 8) ; la justice (iixKiomvyj) est employée dans un sens très difl"érent. On ne trouve chez lui aucune trace des vertus secondaires qui divisent et subdivisent à l’infini les vertus principales. Un seul mot, la bénignité (xt>imrr, i), rappelle vaguement le vocabulaire stoïcien.

Les doctrines diffèrent encore plus que le langage. Les stoïciens parlent souvent de Dieu, de l'âme, de la providence, de la prière, de la bienfaisance ; mais ces termes n’ont presque rien de commun avec les idées chrétiennes correspondantes.

Le dieu des stoïciens n’est pas le Dieu personnel, le Dieu bon, juste, saint, tout-puissant que les chrétiens adorent. Le dieu des stoïciens c’est la nature, l’ensemble des êtres, le grand Tout, ou, si l’on veut, la loi du monde, l’intelligence de l’univers, la force opposée à la matière ; car ils concevaient dieu tantôt comme la somme de ce qui existe, tantôt comme le principe actif des êtres. « Quid est natura quant deus et dii’ina ratio toti mundo parlibusque ejus inserta ? » (SÉNÈQOB, De henef., IV, ^.)Ils necroyaientpasplusà l’immortalité de l'âme qu'à la personnalité de Dieu. Pour être conséquents avec eux-mêmes, ils devaient dire que l'âme se dissout avec le corps, qu’elle retourne aux éléments, qu’elle se perd dans le grand Tout, dont elle n’est qu’une parcelle. El c’esten effet ce qu’affirme plusieurs fois Epictète. Sénèque est plus hésitant, car il se souvient que plusieurs coryphées du Portique accordent aux âmes une certaine survivance. D’après Diogène LAiincE (vit, ibj), Cléanthe les laissait subsister jusqu'à la conflagration, c’est-à-dire jusqu’au temps où le monde sera détruit par le feu ; mais Chrysippe restreignait ce privilège à l'âme des justes. Ce qui faisait dire plaisamment à CiciÎRON (/"i/sch/., I, 31) : « Stoici usuram nobis largiuntur tanquam cornicibus ; diu mansuros aiunt animos, semper negant. » Avec ces idées sur Dieu et sur l'àme, on peut imaginer ce que devait être la providence. C'était la destinée fatale, la loi immuable de l’univers, le décret inflexible de l’intellifc’ence