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PROPHÉTISME ISRAÉLITE

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entraînait forcement des poses, des manœuvres, des roueries, que nous qualifierions aujourd’hui des noms les plus sévères. Numa Pompilius, qui fut, s’il a existé, contemporain d’Isaïe, ne semontrapasplus scrupuleux sur le choix des moyens., , » (/. c, II, 484, 485). « La grande blessure morale du prophétisme juif est l’obligation où est le prophète d’afiirmer sa mission sans preuves ou avec des preuves charlatanesques. » III, 15g). Il sullit de lire attentivement un chapitre ou deux de cet ouvrage, en se reportant aux textes allégués, pour savoir très vitede quel côté se trouve le manque de sincérité, le charlatanisme.

— Inutile de s’arrêter au pamphlet récent (19201yai )de l’assyriologue Friedrich Delitzsch, où l’on voit les prophètes contribuer à la « Grande Duperie » de l’Ancien Testament : ces pages venimeuses ont en elles-mêmes leur contre-poison dansles violences de style où la passion seule s’exprime (Voir Jean Cales, Recherches de Science religieuse, 1922, p. 96-101).

Entachée de partialité haineuse dans sa source, cette première hypothèse est en contradiction avec les témoignages les plus certains sur la sainteté personnelle des prophètes, avec l’élévation morale de leur doctrine, l’évidente sincérité de leur attitude et de leur langage, leur désintéressement, leur dévouement jusqu’au martyre. « Représenter les prophètes hébreux comme des trompeurs, dit Kuenen, est aussi absurde que choquant, c’est parfaitement vrai ; de toute l’énergie de notre conviction nous repoussons cette manière de voir ; porter sur eux un pareil jugegement en face de leurs écrits, c’est s’aveugler volontairement » (/. c, p. 332-333).

Seconde interprétation. Si les prophètes n’ont pas voulu tromper, est-il sûr qu’ils ne se sont pas trompés eux-mêmes ? Ils étaient sans doute de bonne foi, mais peut-être dans l’illusion. Leur zèle ardent, leur imagination surexcitée, dans des circonstances critiques, leur a fait prendre un désir, un rêve pour une réalité : ils ont cru recevoir des ordres directs de la part de Dieu ; et c’était exaltation maladive, hallucination. Nous avons vu plus haut M. Marcel Dibulafoy, dans un livre original sur le Roi David, nous présenter les anciens prophètes comme des névropathes, des épileptiques. Il s’efforce bien de « distinguer par-dessus la foule des inspirés les grands génies tels que Debbora, Samuel, Nathan, Osée, Amos, Michée, Elisée, Elie et tant d’autres… » Mais ceux-ci, somme toute, faisaient cause commune avec les premiers, puisqu’  « ils présidaient à leurs exercices pieux, à leurs chants, à leurs danses… » (p. 126). — Pareille hypothèse n’offre pas la moindre probabilité, quand il s’agit d’un Isaïe, d’un Jérémie, dont le ministère a duré quarante ans. Leurs écrits, leur action, leur vie entière nous montrent dans ces hommes un tempérament sain et parfaitement équilibré, une conviction raisonnée et persistante, qui n’a rien d’un enthousiasme morbide. Il faudrait expliquer aussi la clairvoyance prophétique de ces prétendus visionnaires et les « signes » par lesquels ils attestent l’authenticité de leur mission. Enfin, il est impossible de dire pourquoi, après Malachie, dans les derniers siècles, en des circonstances analogues, à une époque de luttes ardentes comme celle des Macchabées, les mêmes phénomènes ne se sont pas produits.

La troisième explication, l’interprétation psychologique, est plus subtile, plus spécieuse, beaucoup plus répandue. On la trouve exposée dans une quantité d’ouvrages modernes protestants et rationalistes. Le problème à résoudre est celui-ci : Admettre les affirmations des prophètes sur la parole divine qui leur est adressée, et rendre

compte de ce fait d’une façon plausible, en rejetant toute intervention surnaturelle de Dieu, tout mode de communication au-dessus des lois naturelles.

« … Notre manière d’envisager le prophétisme, dit

Kuenen, nous permet… de comprendre commentles prophètes sont parvenus à donner leur parole pour la parole de Dieu…Soudainement une idée le frappe [le prophète], une conviction s’empare de son esprit pour ne plus le quitter. Cette vérité, qu’il prend pour la parole même de Dieu, il n’y est pas arrivé, et il le sait, par la voie ordinaire du raisonnement. Il n’a donc aucune peine à la distinguer de ses propres idées… Assurément, les idées prophétiques ne sont point sorties d’une révélation surnaturelle ; mais ne sont-elles pas sorties de la disposition particulière du prophète, et, quant à cette disposition, ne faut-il pas y voir l’oeuvre de Dieu ? Toute l’erreur des prophètes consisterait ainsi en ce que l’action de Dieu sur eux aurait revêtu à leurs yeux un caractère trop exceptionnel, trop absolu » (Histoire critique des Livres de V Ancien Testament, trad. Pierson, t. II, p. 28-30). — Ewald (Commentaire des Prophètes, traduction anglaise par J. FrederickSmith, 1875, t. I, p. 29-40), et Albert Révillb (Revue des Deux Mondes, 15 juin 1867, p. 826-832) avaient parlé dans le même sens, mais en termes moins clairs. Rbuss développe aussi cette théorie dans son Introduction aux Prophètes (Les Prophètes, t. I, p. 25-20). Plus récemment, Auguste Sabatier exprime en peu de mots, sous une forme nouvelle, la même idée :

« Bientôt cependant le nafcid’Israël se dégage de ces

formes banales et s’élève infiniment plus haut. Le devin se transforme en orateur politique et en prédicateur religieux. Ses discours, pour être inspirés, n’en sont que plus graves, mieux raisonnes et plus éloquents. Sans doute, il affirmera toujours que ses paroles lui viennent de Jahveh ; il n’est pas libre de parler autrement ni de se taire. Mais cette inspiration divine, comme chez notre Jeanne d’Arc, n’a plus rien d’équivoque ou de malsain. Elle n’est pas autre chose [je souligne] que l’obsession intérieure d’une grande pensée et a’un irrésistible devoir qui remplissaient leur âme et dont l’origine psychologique échappait à leur conscience » (Esquisse d’une Philosophie de la Religion, 4e édition, p. 158-15g). M. Jean Révillb se fait le Adèle écho de ces assertions.

Enlin William James pousse encore un peu l’analyse psychologique, en s’aidant de la théorie moderne du « subconscient ». Il donne sa pensée dans un livre au sujet duquel le P. de Munnynck a écrit : « Nous croyons pouvoir affirmer que pendant ces dernières années, peu délivres ont fait autant de ravages dans les conviction s religieuses quel’ouvrage, considéré comme sympathique à la religion, de William James : The Varietirs of Religious E> / » rirncf » (Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 20 janvier 1914, p 0, 7). « La psychologie et la religion, dit cet auteur, sont d’accord pour admettre qu’il existe des forces extérieures à la conscience claire de l’individu, qui jouent dans sa vie un rôle rédempteur. Mais pour la psychologie, ce sont des forces « subconscientes » agissant par une

« incubation » ou « cérébration » plus ou moins rapide, 

ce qui implique qu’elles sont immanentes à l’individu ; tandis que pour la théologie chrétienne, ce sont les manifestations directes et surnaturelles d’un Dieu transcendant. » Au lieu d’une lumière ou d’une vérité venue du dehors, inopinément, subitement, par le moyen d’une révélation d’origine toute divine, nous aurions des « processus psychiques subconscients qui semblent mûrir dans l’ombre, puis