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POUVOIR PONTIFICAL DANS L’ORDRE TEMPOREL

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ronne. A l’encontre de cette revendication insoutenable, les Papes ont affirmé leur droit de commander et de punir, fût-ce à propos d’un acte officiel de la Couronne, quand cet acte avait le caractère d’une violation de la morale et du droit. Tel est le sens fondamental des documents pontificaux du Moyen Age, dont le formulaire imagé nous paraît le plus étrange au premier abord.

Innocent III, expliquant, en 1204, aux évêques français, par la lettre Novit Mc, le motif de son intervention dans le conflit politique et féodal de Philippe Auguste et de Jean sans Terre, apporte de judicieuses précisions sur le caractère des revendications pontificales en pareille matière : Personne ne doit donc s’imaginer que nous prétendons troubler ou diminuer la juridiction de l’illustre roi des Francs, non plus qu’il ne veut ni ne doit empêcher la Noire… Car Nous ne prétendons pas juger du fief, dont le jugement lui appartient, mais prononcer sur le péché, dont la censure nous appartient sans nul doute : censure que nous pouvons et devons exercer contre

?ui que ce soit… Il est encore ici une autre raison : es deux rois ont fait ensemble un truite de paix, qu’ils ont confirmé par des serments de part et d’autre, et qui, cependant, n’a pas été observé jusqu’au temps convenu. Ne pourrons-Nous donc point, pour renouer cette paix- rompue, connaître de la religion du serment, qui, sans nul doute, appartient au jugement de l’Eglise ?..,

Boaiface VIII, dans l’allocution consistoriale du ik juin 1302, expliqua par des arguments identiques son attitude à l’égard de Philippe le Bel. Il ne jugeait pas les actes du prince en tant que se rattachant au domaine politique, mais en tant que constituant une violation coupable du droit de Dieu et de l’Eglise, ratione peccati. De bonne foi, on doit reconnaître que cette conception des Papes du Moyen Age est exactement, quant à la substance, celle-là même quenousappelons aujourd’hui le pouvoir <c indirect >, et que le travail des siècles nous permet de formuler avec plus de clarté, de précision et de nuances.

V. Extension du pouvoir « indirect ». — Indubitablement, le pouvoir « indirect » s’étend à toute affaire temporelle et politique qui est, en même temps, une question religieuse et canonique, de telle sorte que la solution contraire à la doctrine religieuse et canonique devienne une violation manifeste du droit de Dieu ou de l’Eglise. En pareille rencontre de circonstances, dans les questions mixtes, se vérifie avec évidence le droit d’intervention de l’autorité spirituelle pour « prononcer ; >ur le péché » : ratione peccati.

Certaines applications de ce droit sont tellement évidentes, et justifiées d’une manière si impérieuse, qu’il est à peine besoin, pour en comprendre la légitimité, de recourir à la conception d’un pouvoir t indirect » sur le temporel. La conception d’un pouvoir

« direct » sur le spirituel y suffirait presque

à elle seule. Ce sont lescas où le législateur séculier prétend imposer à l’Eglise elle-même un formulaire doctrinal, un système d’organisation cultuelle et disciplinaire qui soit contraire à la vérité dogmatique ou à la constitution essentielle et divine du catholicisme. La condamnation prononcée, en pareil cas, contre une législation sacrilège, hérétique ou schismatique est, avant tout, l’exercice normal du pouvoir

« direct » de la hiérarchie ecclésiastique en matière

dogmatique, morale, disciplinaire. C’est alors beaucoup moins l’Eglise qui intervient dans le domaine temporel, que l’Etal qui s’aventure, par une usurpation coupable, dans le domaine spirituel et religieux.

Toutefois, même en présence d’une telle hypothèse, l’Eglise pourra faire usage de son pouvoir

« indirect » sur le temporel, non moins que de son

pouvoir direct sur le spirituel. Relisons.par exemple, le dernier acte (dont fasse mention l’histoire de France) île condamnation solennelle d’une loi de l’Etat par le Pontife de Rome : c’est l’Encyclique Vehementer, du il février 1906, où Pib X frappe de sa réprobation motivée la loi française du 9 décembre 1905, sur la Séparation des Eglises et de l’Etat :

En vertu de l’autorité suprême que Dieu Nous a conférée, Nous réprouvons et Nous condamnons la loi votée en France sur la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, comme profondément injurieuse vis-à-vis de Dieu, qu’elle renie officiellement, en posant en principe que la République ne reconnaît aucun culte ; Nous lu réprouvons et condamnons comme violant le droit naturel, le droit des gens et la fidélité publique aux traités, comme contraire à la constitution divine de l’Eglise, à ses droits essentiels et à sa liberté ; comme renversant la justice et foulant aux pieds les droits te propriété que l’Eglise a acquis à des titres multiples, et, en outre, en vertu du Concordat. Nous la réprouvons et condamnons comme gravement offensante pour la dignité de ce Siège apostolique, pour Notre personne, pour l’Episcpat, pour le clergé et pour tous les catholiques français. C’est pourquoi Nous protestons très énergiquement contre la proposition, l’adoption et la promulgation de cette même loi, et Nous proclamons qu’elle demeurera dépourvue de toute valeur à l’encontre des droits de l’Eglise, supérieurs à toute violence et à tout attentat des hommes. (Enchiridion D. B., 1995.)

Non seulement Pie X condamne les injustices et les faux principes de la loi de Séparation, ce qui rentrerait dans le pouvoir « direct » du Pape en matière religieuse, mais il condamne la loi elle-même et la déclare nulle et sans valeur en toutes ses dispositions contraires aux droits de Dieu et de l’Eglise, et parla l’Encyclique Vehementer, atteignant l’acte politique et juridique du législateur séculier, se rattache au pouvoir « indirect » du Pape sur le temporel. L’autorité religieuse condamne une loi de l’Etat ratione peccati.

L’application du principe se référera de plus en plus complètement au pouvoir « indirect » de l’Eglise sur le temporel à mesure que les lois fondamentales du catholicisme seront moins évidemment mises en cause, et que le problème prendra un aspect plusspécifiquement temporel etpolilique. Telles seront, par exemple, des lois scolaires, fiscales, militaires, qui seraient pourtant condamnées à juste titre (et peut-être rendues inapplicables) par le verdict du Pontificat romain, pour cause de violation des libertés catholiques ou des immunités ecclésiastiques, même s’il ne s’agit pas de textes législatifs d’un caractère violemment persécuteur.

Le pouvoir « indirect » pourra encore s’exercer par l’interdiction faite aux catholiques par le Saint-Siège d’accomplir telle pu telle démarche politique qui porterait atteinte à la justice, à la morale, au droit de Dieu ou de l’Eglise. De ce genre fut la consigne fameuse du Non expedit, par laquelle Pie IX et Léon XIII défendirent absolument aux catholiques italiens de prendre part aux élection* politiques de leur pays. — Pourquoi donc ? — Parce que la spoliation des Etats pontificaux par l’Italie unifiée a été une atteinte flagrante au droit de l’Eglise et à l’indépendance du Saint-Siège. Or, prendre part aux élections législatives italiennes, contre la volonté du Pape, aurait eu pour signification, chez les catholiques de la péninsule, de sanctionner équivalemment cette situation anormale et injuste et d’accepter pratiquement la spoliation de la Papauté. Donc, aussi longtemps que le Non ex/>edit fut maintenu par le