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SIBYLLES

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un sens conforme à leur enseignement ; il est incontestable que la conservation des textes sibyllins de provenance juive est due au travail des sibyllistes chrétiens. Au vieux fonds s’ajoutèrent bientôt des développements nouveaux ; on chargea la prophétesse de raconter par anticipation l’histoire de Jésus conformément aux données évangéliques, en la mettant à sa place dans l’histoire générale du monde ; on exposa les préceptes essentiels de la morale chrétienne, dont on vanta la supériorité sur les principes de conduite des païens ; quelques rares détails relatifs au culte chrétien furent insérés ça et là parmi les prophéties ; enfin on s’étendit longuement sur les catastrophes qui inarqueront la lin du monde, sur la parousie, le jugement dernier et les sanctions éternelles réservées à chacun, selon ses mérites. Les sectes gnostiques semblent avoir mis un empressement particulier à couvrir leurs étranges doctrines de l’autorité de l’antique prophétesse.

Le succès de la Sibylle chrétienne paraît avoir répondu largement à l’attente de ses inspirateurs, et il s’explique par l’état même des esprits au n c et au m* siècle, où le besoin du surnaturel est partout si vif, où la vie religieuse offre partout une surprenante intensité, où toutes les croyances et toutes les superstitions se mêlent et trouvent des adeptes. La divination prend à son tour un essor inattendu, sous l’influence de l’Orient, qui enseigna aux occidentaux de nouveaux moyens d’investigation de la volonté divine ; l’astrologie babylonienne apporte des lumières hautement appréciées d’un grand nombre ; la plupart des vieux sanctuaires fatidiques comme Delphes, Dodone, Didyme.Claros recouvrent beaucoup de considération ; presque tous les cultes orientaux, comme ceux de Sarapis, des différents Baals, de Dea Gælestis, sont doublés d’un système de divination ; aucune des anciennes manières de connaître l’avenir, aruspicine, songes, sorts, n’est délaissée ; et les ch-irlatans ne manquent pas qui exploitent la crédulité publique. Chez les montanistes, le prophétisme est pratiqué avec une exaltation qui impressionne étrangement certaines âmes. D’autre part, à l’exception des Epicuriens et des Cyniques, toutes les écoles de philosophes admettent sans hésiter la valeur de la divination ; les disciples de Platon, de Pythagore, du Portique s’ingénient à lui trouver des fondements tirés de la science. La voix de la Sibylle, éclatant au milieu de ce chaos, ne pouvait manquer d’agir efficacement sur des esprits attentifs à toutes les manifestations divines. Nous en trouvons la preuve dans certaines proie tations d’adversaires

« lu Christianisme, tels que Celse et Lucien, qui

reprochent à l’Eglise, avec une ironie pleine d’aigreur, de faire un usage indiscret du témoignage de la Sibylle, après en avoir altéré les oracles dans un but d’apologétique. La Sibylle chrétienne continue de vaticiner, après des intervalles plus ou moins longs, jusque vers la lin du me siècle, ajoutant toujours des chants nouveaux au vieux recueil, selon les circonstances qui changent sans cesse.

La plus ancienne mention de la Sibylle chrétienne se lit dansle Pasteur d’Hermas, qui s’abstient d’ailleurs de citer directement aucun oracle. A partir de Clément d’Alexandrie, les témoignages empruntes aux livres sibyllins deviennent de plus en plus Fréqnents chez les écrivains ecclésiastiques, tant hérétiques qu’orthodoxes.

I.a poésie sibylline, grâce à son caractère étrange et au fonds doctrinal qu’elle contient, a exercé une influence prodigieuse sur les esprits et frappé vivement l’imagination des croyants. De même que les oracles de la devineresse sont avidement

lus par les chrétiens des premiers âges, ainsi les défenseurs de la nouvelle religion lui empruntent volontiers des arguments.

Loin d’être englobée dans la réprobation qui atteignait toutes les autres formes de la divination païenne, parce qu’on y voyait l’œuvre des démons, la Sibylle trouve un crédit extraordinaire auprès de certains ecclésiastiques, qui ne se lassent pas de la citer. Pour comprendre cette exception, il faut se rappeler que la prophétesse jouissait depuis longtemps d’une réputation solidement établie chez les Juifs ; en parcourant la littérature alexandrine, les chrétiens rencontraient ces oracles attribués tantôt à la Sibylle Erythréenne, tantôt à la Chaldéenne ; ils voyaient avec quelle avidité, avec quelle piété crédule les Israélites s’en repaissaient ; ils étaient frappés de la conformité de la doctrine sibylline sur l’unité de Dieu et les fins dernières avec les enseignements contenus dans la Bible ; les révélations qu’ils trouvaient dans ces oracles les amenaient naturellement à penser que, dsns sa miséricorde envers les Gentils, Dieu avait accordé des lumières spéciales à des écrivainspaïens, à quelques vierges privilégiées, pour les arracher à l’idolâtrie et les préparer à recevoir les doctrines plus pures, contenues dans les livres inspirés des Juifs. Ils acceptaient d’autant plus volontiers cette inspiration partielle, dont Dieu aurait favorisé les Sibylles, qu’ils partageaient pleinement l’opinion des Juifs que toute la sagesse hellénique avait été puisée dans la Bible, et que Platon passait pour avoir étudié Moïse. Quoi d’étonnant à ce que les Sibylles aient pris leurs oracles à la même source de vérité, ou que Dieu se soit adressé directement à elles pour leur en révéler quelques parcelles ? La Sibylle à son tour avait servi de guide aux poètes païens ; Homère n’avait-il pas eu la bonne fortune de mettre la main sur les oracles de la prophétesse dont il n’hésita pas à copier les vers ? Même chez ses coreligionnaires, il était regardé comme un disciple de la Sibylle. Les auteurs chrétiens ont à leur tour exprimé cette opinion. On accusait du reste le vieil aède d’avoir également copié Orphée et Musée. Ainsi les auteurs chrétiens des premiers siècles se persuadèrent vile que la Sibylle avait été un instrument choisi de Dieu pour préparer le monde à la connaissance de l’Evangile et qu’elle méritait de prendre place à côté des prophètes de l’Ancien Testament. La Sibylle devint, comme on l’a dit, une sorte de sainte in parlibus, qui Oguroit à côté des témoins les plus autorisés de la vérité divine et des précurseurs même de l’Evangile.

Quoi de plus avantageux d’ailleurs, pour les apologistes, que de trouver une alliée dans le camp de l’ennemi ? Les Sibylles, prophétesses depuis longtemps populaires chez les Grecs, étaient des auxiliaires incomparablement plus utiles, dans la lutte contre le paganisme, que les prophètes d’Israël ; elles permettaient de battre les païens avec leurs propres armes, ou de les mettre en contradiction avec eux-mêmes, s’ils repoussaient les arguments tirés de la divination sibylline.

La bonne foi des écrivains ecclésiastiques, qui ont ainsi accepté beaucoup de révélations de source sibylline, est au-dessus de tout soupçon ; mais leur sens critique est évidemment en défaut. Certes ils se trompaient absolument dans leur manière de comprendre les rapports des Livres de l’Ancien Testament avec les oracles de la Sibylle ; mais l’idée que toutes ces soi-disant prophéties n’étaient que des œuvres apocryphes n’est pas venue à leur esprit. La question de l’authenticité des textes qu’on employait couramment ne se posait pas alors. Ces