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TRINITÉ (LA SAINTE)

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une foi encore indépendante de toute spéculation savante. Clément, Ignace, et de même les autres écrivains apostoliques, ne s’adressent qu’à leurs frères dans la foi ; ils n’ont pas encore le souci de se faire accepter ni même de se faire entendre des philosophes païens ou juifs ; sans se préoccuper des controverses ou des spéculations d’école, ils cherchent à édifier, à instruire, à exhorter.

De ce fait, ces écrits présentent à l’historien de la théologie, et surtout de la théologie trinitaire, un intérêt capital. Depuis la Renaissance et la Réforme, on a bien des fois agité la question de l’orthodoxie des Pères anténicéens : la discussion, entamée déjà par les Centurialeurs de Magdebourg et par Baronius, ne s’est pas apaisée depuis : Petau, Bull, Bossuet, Le Clerc, Baltus, et combien d’autres, jusqu’à Duchesne et après lui, ont échangé des dissertations érudites ou des discours éloquents, et le procès, si souvent plaidé, reste ouvert. La question le plus vivement débattue, celle qui domine toutes les autres, est l’attitude des écrivains incriminés vis-à-vis de l’hellénisme et, plus particulièrement, de la philosophie grecque : les titres mêmes des dissertations marquent assez clairement le point en litige : à une thèse du pasteur Souverain Du platonisme dévoilé, le jésuite Baltus répondra par sa Défense des saints Pères accusés de platonisme ; un peu plus lard, un protestant, Christian Samuel Khost, répliquera dans une thèse de "Wittenberg (i 7 33) : Disputatio philosophica de Platonismo thcologiae veterum Ecclesiæ doctorum nominatim Justini martyris et démentis Alexandrin, corruptore. Ce ne sont là que quelques spécimens d’une littérature très copieuse.

La multiplicité de ces plaidoyers et de ces réquisitoires suffit à montrer que le cas est complexe et mérite d’être étudié. On ne doit pas manquer de le faire. Mais on ne doit pas se laisser absorber par la discussion de ce problème : tous les écrivains anténicéens ne sont pas suspects de « platonisme », et il y a d’autres témoins de la tradition que ceux dont 1. s noms retentissent le plus souvent dans cette controverse séculaire : saint Justin, Tatien, Athénagore. Clément, Origène. Il y a la voix collective de

I Église ; nous nous sommes efforcé de l’entendre.

II y a aussi les Pères apostoliques ; nous devons recueillir leurs témoignages. Les anciens historiens du dogme ne les ont pas ignorés* ; il faut bien reconnaître toutefois que, dans la controverse sur les

« anténicéens », ces premiers de tous les « anténicéens

» ont été beaucoup plus rarement cités que les apologistes ou les Alexandrins. On n’en sera pas surpris si l’on se rappelle que plusieurs de ces textes ont été récemment découverts, que les autres ont clé, jusqu’à ces dernières années, mal édités et, par suite, mal connus. Chacun sait que la Didachè a été éditée pour la première fois en 1883. Des deux manuscrits grecs principaux qui contiennent la lettre de Barnabe, l’un est le Sinaïticus, découvert en 1809, l’autre le manuscrit de Jérusalem qui contient la Didachè et qui a été publié, nous venons de le rappeler, en 1883. C’est ce même manuscrit qui nous a rendu les derniers chapitres de la lettre de saint Clément et qui a dissipé tous les doutes au sujet du texte capital qu’on lit au chapitre lviii, 2 :

« Aussi vrai que Dieu vit, et que vit le Seigneur

Jésus-Christ et le Saint-Esprit, la foi et l’espoir des élus… » Quant à saint Ignace d’Antioche, on sait que sa correspondance nous est parvenue sous une

1. Petau les avait laissés de côté dans les chapitres de son De Trinitatc consacrés aux anténicéens ; il les a ultérieurement étudiés dans sa préface, ch. ii, n. <i sqq.

triple forme, longue, brève et moyenne, et que cet état confus de sa tradition manuscrite a pendant longtemps troublé le jugement des critiques ; il n’y a guère qu’une quarantaine d’années que, depuis les travaux de Lightfoot surtout, toute incertitude a été dissipée et l’authenticité de la forme moyenne unanimement reconnue. C’est là, pour l’histoire de la théologie anténicénne, un événement d’une portée considérable. Fr. Loofs écrivait récemment : « Il y eut une période des nouvelles recherches bibliques, théologiques, historiques, où l’on semblait rétrograde si l’on ne prétendait pas interpréter d’après Philon et la philosophie dérivée de lui, toutes les mentions du Logos qu’on pouvait rencontrer dans les textes christologiques de l’ancienne littérature chrétienne. Cela a changé depuis que l’authenticité des lettres d’Ignace a été définitivement établie’. »

Sans doute, l’étude des Pères apostoliques présente, elle aussi, des difficultés et fait surgir des controverses. Mais ce sont des difficultés tout autres que celles que nous rencontrons dans les œuvres des apologistes ou des Alexandrins. Cei tains historiens, par exemple, croiront reconnaître chez saint Ignace une doctrine modaliste ou, du moins, une des sources du modalisme postérieur ; il faut dissiper cette confusion. Il reste que nul ne pourra prétendre trouver chez lui le subordinatianisme dont on accuse Justin ou Origène ; et cela n’est pas sans intérêt : s’il est encore des écrivains qui veuillent expliquer la formation de la foi nicéenne par une apothéose progressive du Fils de Dieu, cette hypothèse se brise au contact des plus anciens textes chrétiens, des livres du Nouveau Testament d’abord, mais aussi des écrits apostoliques.

En abordant l’étude des apologistes, on entre dans un champ labouré par des siècles de controverse. On nous dispensera de raconter cette longue histoire ; il y faudrait un volume entier, et peut-être que le profit ne vaudrait pas la peine. Souvent ces discussions ont été provoquées et entretenues par des préoccupations étrangères à l’histoire : Jurieu, par exemple, a attaqué l’orthodoxie des écrivains anténicéens pour prouver, contre Bossuet, que les variations de l’Église protestante n’étaient pas une présomption d’erreur ; au contraire l’anglican Bull a entrepris, vers la même date, de montrer qu’on ne peut parler d’un progrès de la théologie chrétienne, mais que dès l’origine la construction dogmatique a eu son plein achèvement ; cette thèse fut saluée avec joie par Bossuet, qui n’en avait pas deviné l’inspiration, mais elle fut suivie de près par un autre ouvrage sur lequel on ne pouvait prendre le change : Des corruptions de l’Eglise de Home 2.

1. Paulus von Samosata, p. 312. L’ère des découvertes n’est pas close : K. Bihlmi.Yeu écrivait en 1925, dans la préface de sa nouvelle édition des Pères apostoliques, qu’il devait attendre, pour éditer le Pasteur d’Hermas, la publication de vingt-cinq feuilles de papyrus récemment découvertes et appartenant à la collection de l’Université de Micliigan : on y trouve, dans une écriture du quatrième siècle, le quart du texte du Pasteur : Sim. 11, 8 — îx, 5, 2. Campbell Bonner a décrit ce papyrus et a noté ses principales variantes dans The Harvard Thcologicnl Iieview, xvui (192.=.), p. 115-128 :

2. P. Godet, dans son article Bull du Diclionnaùe de Théo logie, col. 1243, a cité ce passage de Richard Simon sur les intentions du théologien anglican : « Quand on oppose aux catholiques que le concile de Latran, sous le pupe Innocent 111, n’a pas eu des preuves suffisantes pour établir ce dogme (de la transsubstantiation), les catholiques répondent que la consubslantialité du Verbe, qui a été défiire dailfl le concile de Nicée, n’a pas des preuves plus claires dans l’antiquité, que cependant les protestants, qui font cette objection, reconnaissent pour orthodoxe la foi du concile de Nicée. Bullus, qui avait senti la force de ce raison-