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ET DÉPENDANCES. g

Des mâts de pavillons aux couleurs de France, d’Albion ou d’Allemagne émergent d’un fouillis de verdure que dominent de grands arbres pareils à des parasols géants.

Le massif impénétrable s’étend jusqu’au pied des contreforts dont les étages s’élèvent doucement ou se dressent en murailles verticales.

Au fond des hautes montagnes qui forment l’horizon Sud-Est de la ville se profilent monstrueux, portant leurs fronts cornus dans l’azur des cieux sans tache, les sommets du Maïao et de l’Aoraï enfantés dans de suprêmes convulsions de la nature.

Tout autre est le décor si le point de vue change. Ce n’est plus la majesté presque troublante du premier tableau qui frappe le spectateur tout à coup transporté du pont de la goélette sur la colline du sémaphore près de la batterie du Faïéré. Le paysage perd de sa sombre grandeur pour devenir riant et gracieux.

Dans les éclaircies comme à travers les arbres et les fleurs qui abritent Papeete, au milieu des cocotiers et des maïorés (arbres à pain), des puraos, des flamboyants, des lauriers-roses et des tiares, de tout ce qui compose la flore indigène et étrangère, surgissent une multitude d’habitations, en bois, pour la plupart, généralement basses et surmontées de toits gris ou noirs selon que la tôle ou le bardeau les couvre.

À côté de rares édifices surmontés de belvédères comme le palais de Pomaré V, les hôtels du Gouvernement et du Directeur de l’Intérieur, la cathédrale, l’évêché, etc., l’œil exercé découvre les cases en chaume proscrites par les règlements locaux, mais existant en dépit d’eux, car le maori préfère le repos sous le toit de pandanus, à celui qu’il pourrait goûter dans des installations plus luxueuses, qu’il possède souvent.

Du voisinage de ces huttes, dans le calme des tièdes matinées, presque avec un air de discrétion, des buées bleues s’élèvent graduellement dans l’atmosphère. Elles proviennent des « Umu » ou fours creusés dans la terre et dans lesquels, dès que la braise sera faite, sur des cailloux rougis, on fera cuire, enveloppés de feuilles d’arbre à pain, le poisson, la viande, les fruits, ronds maoïrés et longs feïs, pour l’unique repas du jour. À travers les spirales des petites buées, dans le mystère de la feuillée humide, protectrice des