Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

d’infanterie, des escadrons de chasseurs, de dragons et de gardes municipaux. « Les meilleures troupes du monde ne forceraient pas le pont, » s’écriait le général Perrot, commandant de la place, qui, à la tête de son état-major, surveillait les dispositions prises.

La foule, rejetée sur la place de la Concorde, oscillait dans un mouvement indéterminé de flux et de reflux. On donna l’ordre à la garde municipale de la disperser. Ce corps d’élite, composé d’hommes éprouvés et qu’une forte solde tenait attachés au gouvernement, était jalousé par la troupe de ligne à cause de ses privilèges et détesté du peuple à cause de ses attributions de police. Sa discipline était sévère ; il exécutait ses consignes avec rigueur. De ses fréquents conflits avec la population parisienne résultait une animosité réciproque qui ne pouvait, en de telles circonstances, que précipiter les hostilités, tandis qu’elles auraient pu encore être évitées par une sage intervention de la garde nationale. Ce fut donc une faute que de commencer l’attaque par des charges de la garde municipale[1], bien qu’elle les fit d’abord avec de grands ménagements. Le peuple, animé de passions plus violentes, commença le combat à coups de pierre. Les soldats, ainsi provoqués, s’ouvrirent passage, le sabre au poing, à travers la foule, culbutant, frappant, blessant grièvement des vieillards et des femmes qui ne pouvaient fuir assez vite. Il suffit de quelques-unes de ces charges pour faire évacuer la place ; mais la mort d’une pauvre vieille femme, jetée rudement sur le pavé, et le sang d’un ouvrier, mortellement atteint par le tranchant d’un sabre, arrachèrent à la multitude un premier cri de vengeance ; l’acharnement des représailles populaires, pendant les trois jours de la lutte, fit cruelle-

  1. Les gardes municipaux étaient très-mécontents de ces dispositions. Leurs chevaux qui glissaient sur l’asphalte de la place et l’animosité singulière de la population les exposaient beaucoup plus que ne l’eût été la troupe de ligne.