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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

que lui à déposer aux pieds du roi sa démission ; heureux ajouta-t-il, de donner ainsi une preuve de son dévouement à la dynastie[1]. Louis-Philippe n’accepta ni ne refusa positivement cette démission, selon la coutume de son esprit cauteleux mais il fit demander M. Guizot, et, après une courte entrevue, il fut entendu que M. Molé, qui siégeait en ce moment à la Chambre des pairs, allait être appelé aux Tuileries. C’est alors que le ministre déchu se rendit à la Chambre des députés et répondit, comme on l’a vu, aux interpellations de M. Vavin.

On dit que la dissimulation du roi et son penchant pour les voies obliques donnèrent à son entretien confidentiel avec M. Molé un caractère ambigu, bien peu fait pour inspirer à celui-ci la hardiesse d’initiative nécessaire en de pareilles extrémités. Dans une sorte d’épanchement très-composé, Louis-Philippe, assure-t-on, se représenta comme abandonné par MM. Guizot et Duchâtel[2] ; il se plaignit amèrement de leur ingratitude et termina en demandant à M. Molé de former au plus vite un cabinet conciliateur. Celui-ci écouta longtemps en silence. Il ne se dissimulait pas, et il ne dissimula point à Louis-Philippe les difficultés qu’il allait rencontrer. Il ne pensait pas que le mouvement dût s’arrêter à lui. M. Thiers était peut-être déjà l’homme indispensable ; en tous cas, il faudrait se résoudre à bien des concessions. Le roi feignait de ne pas comprendre. M. Molé, plutôt par condescendance pour son royal interlocuteur que par persuasion personnelle de l’opportunité d’une telle démarche, promit de chercher à

  1. Depuis ce moment, jusqu’au jeudi matin 24, le roi demeura sans ministère légalement formé. Les combinaisons, à partir de M. Molé jusqu’à M. Odilon Barrot, nommé président du conseil, se succédèrent sans jamais arriver à une formation officielle. Personne n’étant plus responsable, personne ne donnait d’ordre positif. On n’opposait que des conseils, des avis, des projets, à l’envahissement rapide des forces révolutionnaires.
  2. C’est la version que le roi a cherché à accréditer.