Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
206
HISTOIRE

rapport de cet événement et de l’effet qu’il produit sur le peuple a jeté l’alarme, M. Delessert ne parvient qu’avec beaucoup de peine à tirer le roi d’une apathie d’autant plus inquiétante qu’elle contraste davantage avec l’activité habituelle de Louis-Philippe. Ce prince se montre, en cette circonstance, si différent de lui-même, que le bruit se répand, dans le château, qu’il a été frappé, la veille, d’apoplexie en apprenant la défection de la garde nationale. Il n’en était rien cependant ; la santé physique du roi n’était point altérée ; sa politique seule, c’est-à-dire tout son être moral, avait reçu un coup mortel.

Le temps s’écoulait et M. Molé ne venait pas. Ses négociations auprès de MM. de Rémusat, Dufaure, Passy, avaient été brusquement interrompues par la nouvelle désastreuse à laquelle Louis-Philippe donnait si peu d’attention. Aussitôt, comprenant que son rôle cessait, M. Molé, sans plus vouloir paraître aux Tuileries, fit savoir au roi qu’il lui devenait impossible de composer un ministère. Le roi, qui conférait, en ce moment, avec M. Guizot, témoigna quelque surprise et quelque humeur de ce refus, dont il ne voulait pas comprendre la nécessité ; tout ce qu’il voyait, c’est que sa position personnelle en devenait plus désagréable. Il n’y avait plus à balancer ; selon les précédents parlementaires, le tour de M. Thiers était venu ; il fallait encore descendre un échelon dans la série des combinaisons ministérielles et se rapprocher de l’opposition réformiste. M. Guizot lui-même ne pouvait plus conseiller autre chose. Seulement, pour parer aux imprudences vraisemblables d’un tel chef de cabinet[1], il proposait d’investir le maréchal Bugeaud du commandement général de la force armée ; le nœud d’une situation rendue si intolérable pour la dignité royale devait, selon lui, un peu plus tôt ou un peu plus tard, être tranché par le glaive. Le roi s’étant rangé à cet avis, la no-

  1. « Maintenant ce sont les fous qui gouvernent, » dit M. Guizot, en apprenant la nomination du cabinet Thiers-Barrot, à M. le duc de Broglie.