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HISTOIRE

nance contrastait avec les paroles cavalières du duc d’Isly ; il reçut tristement les félicitations qu’on lui adressait, et le maréchal, le pressant de faire connaître par des proclamations le changement de cabinet : « Sais-je seulement si je parviendrai à en former un ? » répondit le ministre visiblement découragé. En effet, le programme du nouveau ministère n’avait été arrêté entre MM. Thiers, Odilon Barrot, Duvergier de Hauranne et de Rémusat, qu’après une discussion longue, et épineuse. On ignorait encore si MM. Passy et Dufaure, qui avaient refusé la veille M. Molé, consentiraient à prendre un portefeuille ; on en était aux pourparlers avec MM. de Lamoricière, Cousin et Léon de Malleville. Il y avait loin de là à cette vigueur d’initiative, à cet ensemble de mesures rapides et énergiques que le nom seul du maréchal Bugeaud, si témérairement jeté au peuple, devait faire supposer. Les rapports que recevait le maréchal sur l’état des forces dans Paris n’étaient guère non plus de nature à le satisfaire. Dix mille hommes massés au Carrousel, dix mille hommes exténués, très-mal pourvus de munitions et de vivres[1], c’est tout ce que le général Sébastiani peut mettre à la disposition du maréchal. Le reste de la garnison est disséminé ; bien des postes ont été surpris et désarmés ; plusieurs casernes sont cernées par l’émeute ; des convois de poudre, arrivant de Vincennes, sont tombés aux mains des insurgés du faubourg Saint-Antoine À tous ces rapports, le duc d’Isly ne répond qu’en prenant la plume pour organiser son plan d’attaque.

Il ordonne, pour reposer les soldats, qu’on les fasse dormir par rangs de deux heures en deux heures. Puis il divise les troupes en plusieurs colonnes principales, à peu près d’égale force. La première, commandée par le général Sébastiani, doit aller, au lever du jour, rejoindre, à l’Hôtel de Ville, la colonne qui y stationne sous les ordres

  1. Les troupes qui gardaient les Tuileries n’avaient que six cartouches par soldat et le pain manquait.