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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

s’arrachant à ces étreintes, il rentre, suivi des princesses, dans son cabinet, où se pressent en désordre non-seulement les personnes de son intimité, mais une foule étrangère, journalistes, gardes nationaux, militaires de tous grades, tous porteurs de nouvelles fausses ou vraies, parlant, s’exclamant, conseillant à la fois. Le maréchal Gérard, qu’on avait mandé, entrait en ce moment.

« Maréchal, sauvez tout ce qui est encore sauvable ! » s’écrie la reine en lui serrant les mains avec désespoir. Et le maréchal, poussé sur les escaliers, mis à cheval dans la cour du château, sort par la grande porte des Tuileries, et s’avance vers la place du Palais-Royal, pour y annoncer l’abdication et faire cesser le combat.

Le roi s’était assis à son bureau et tenait la plume, mais il n’écrivait point. Le duc de Montpensier, avec vivacité, venait de pousser sous sa main une feuille de papier blanc.

« Au nom du pays, sire, dit tout à coup une voix vibrante, au nom de votre famille et de toutes les familles de France, n’abdiquez pas. Combattons aujourd’hui plutôt que demain, car demain nous serons en république ! » Tous les yeux se tournent vers M. Piscatory.

La reine, exaltée et comme hors d’elle-même, saisissant la main de cet ami fidèle, lui dit à voix basse et d’un air égaré : « Prenez garde, il y a ici des traîtres. »

Et l’œil soupçonneux de Marie-Amélie se portait tantôt sur M. Thiers, tantôt sur madame la duchesse d’Orléans, qui, la lèvre tremblante et les yeux baignés de larmes, isolée loin du groupe des princesses qui se tenaient par la main, répétait d’une voix entrecoupée en suppliant le roi du regard : « N’abdiquez pas, sire, n’abdiquez pas. »

Une décharge retentit, la fusillade se rapproche.

« Vite, sire, » dit le duc de Montpensier en poussant le bras du roi d’un geste peu respectueux. — « Que le roi se hâte, répète M. Crémieux.

— Je n’ai jamais écrit plus vite, reprend le roi qui n’avait pas quitté ses gants et qui traçait, comme à loisir,