Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
HISTOIRE

l’étouffe presque dans un transport d’enthousiasme. Suivi de la foule, il se dirige vers la salle du Trône, où le capitaine Dunoyer rallie ses hommes et se prépare a marcher sur la Chambre. Il vient d’arracher un drapeau du faisceau qui décore le trône. Le lieutenant Girard, de la 11e légion, en a pris un autre qu’il remet au jeune Lebelin, de l’École polytechnique. « À la Chambre ! à la Chambre pas de régence ! » s’écrie-t-on.

La colonne s’ébranle ; se pressant sur les pas de leur chef, les insurgés abandonnent les Tuileries à la multitude ; ils sortent par le guichet du pavillon de Flore, traversent le pont Royal, se dirigent par le quai d’Orsay vers le palais Bourbon[1] ; il est environ deux heures.

Pendant que la colonne de Dunoyer sortait d’un côté, une masse considérable de peuple entrait de l’autre dans la cour du château. La place du Carrousel et la cour étaient, depuis dix minutes environ, complètement vides. Les troupes avaient opéré leur retraite. Les gardes nationaux étaient entrés dans le château, ou s’étaient retirés dans l’intérieur des postes. La colonne populaire qui vint prendre possession des Tuileries marchait en bon ordre et sans aucun tumulte. Le maire du deuxième arrondissement, M. Berger, la canne à la main, ceint de l’écharpe tricolore, était en tête de cette espèce de procession armée, mais pacifique. On y voyait des ouvriers en blouse, des gardes nationaux, des soldats de la ligne, des femmes, des enfants qui se donnaient gaiement le bras et semblaient, tout ravis de leur facile victoire, n’avoir d’autre pensée que celle d’une

  1. Dans la colonne ralliée ainsi autour du capitaine Dunoyer, se trouvaient le lieutenant Girard et neuf autres gardes nationaux de la 11e légion ; le chasseur Barillet, de la 5e ; des combattants arrivés du Château-d’Eau, parmi lesquels on remarquait un garçon boucher en tablier de service, armé d’un coutelas ; un vieillard à barbe blanche, armé d’un sabre antique à la garde duquel on voyait un demi-pain de munition traversé par la lame ; les élèves Lebelin et Vial de l’École polytechnique, etc.