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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

les autres, en beaucoup plus grand nombre ; prennent avec une verve inoffensive le plaisir plus raffiné de la satire en action[1]. Comédiens improvisés, ils imitent, avec une gravité du plus haut comique, les solennités des réceptions officielles. Dans la salle de spectacle, où l’on s’est emparé de tous les instruments de l’orchestre, une infernale cacophonie semble prendre à tâche de rendre sensible à l’oreille déchirée le chaos moral de cette heure révolutionnaire.

D’autres s’installent aux tables de jeu et parient les millions de la liste civile ; on remarque deux individus qui, assis à une table d’échecs, la tête appuyée sur leurs mains, les yeux fixés sur l’échiquier dans l’attitude d’une méditation profonde, donnent, au milieu du plus étourdissant fracas, une muette comédie. Les bons mots, les lazzi, volent à travers les coups de feu qui se croisent au hasard[2].

Les enfants se revêtent de robes de chambre en velours, se font des ceintures avec des franges d’or et des torsades de rideaux, des bonnets phrygiens avec des morceaux de tentures. Les femmes font ruisseler dans leurs cheveux les essences parfumées qu’elles trouvent sur les tables des prin-

    gés, il le porta processionnellement jusqu’à Saint-Roch, ou il le remit entre les mains du curé. Les appartements de madame la duchesse d’Orléans ont été complètement préservés ; de bons citoyens avaient improvisé une garde. L’appartement du duc d’Orléans, fermé depuis sa mort, a été laissé religieusement dans l’état où il se trouvait. Les dévastations véritables n’ont été commises que plusieurs heures après la première invasion. Nous les constaterons en temps et lieu.

  1. Dans cette dernière journée, un assez grand nombre de légitimistes avaient encouragé le mouvement insurrectionnel en distribuant aux combattants beaucoup d’armes de luxe. Plusieurs parurent aux barricades. Ils avaient revêtu la blouse et la casquette du prolétaire. On en vit aussi se mêler, plus qu’il n’eût été bienséant à des partisans de la royauté, aux ébats du peuple dans les Tuileries.
  2. « C’est toi qui es aveugle, » s’écrie un ouvrier en faisant de son mouchoir un bandeau au buste de Louis-Philippe. « Que fais-tu là, marquis ? dit un facétieux à un enfant qui tenait à la main un plan de Neuilly. – Eh ! vicomte, j’examine le plan de mes propriétés, répond celui-ci avec gravité.