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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

plit depuis trois jours, je demande que l’on constitue un gouvernement provisoire.

— À la bonne heure ! » dit le vieillard, dont la physionomie farouche s’adoucit soudain. Et il remet son sabre au fourreau.

« Ce gouvernement provisoire, reprend M. de Lamartine, aura pour mission, selon moi, pour première et grande Mission, 1o d’établir la trêve indispensable et la paix publique entre les citoyens ; 2o de préparer à l’instant les mesures nécessaires pour convoquer le pays tout entier et pour le consulter, pour consulter la garde nationale tout entière, le pays tout entier, tout ce qui porte dans son titre d’homme les droits du citoyen.

« Un dernier mot. Les pouvoirs qui se sont succédé depuis cinquante ans… » Il n’achève pas. Des coups de feu retentissent dans les couloirs. La rumeur entendue au dehors a été toujours croissant. Elle gronde comme une mer en furie. La porte d’une tribune publique de l’étage supérieur est enfoncée. Une bande armée de piques et de coutelas, l’œil hagard, la lèvre convulsive, s’y rue aux cris : À bas la Chambre ! à bas les corrompus ! Un misérable se penche sur le bord de la tribune, et, d’une main mat assurée, en criant : Mort à Guizot ! il ajuste Lamartine. Le capitaine Dunoyer le couvre de son corps. « On vous mire, dit-il. — IL vise mal, répond Lamartine sans s’émouvoir, et, d’ailleurs, s’il me tue, je meurs à ma place. »

Un brave citoyen, le sergent Duvillard, apercevant la carabine braquée sur la tribune, la relève vivement. Cependant l’effroi a saisi les députés. Ils se précipitent vers les issues. La duchesse d’Orléans et ses enfants sont entraînés dans cette fuite. Des ouvriers, des gardes nationaux, des étudiants, prennent place sur les bancs dégarnis. Le bruit redouble. « Président des corrompus, va-t’en ! » s’écrie un insurgé en enlevant le chapeau de M. Sauzet, qui disparaît aussitôt. Une vingtaine de députés de la gauche restent seuls à leur poste.