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HISTOIRE

garantie suffisante[1]. Ils veulent un comité de salut public tout à eux. Du fond de la place, on entend aussi un mugissement sourd, continu, formidable : c’est la grande voix du peuple, qui s’indigne des lenteurs qu’on apporte à proclamer la République. Et la nuit vient, et le péril est pressant : péril du côté des partisans de la royauté, qui conspirent selon toute apparence ; péril surtout du côté de ces multitudes enfiévrées par le combat, par le jeûne, par l’attente, par le soupçon. La ville entière est à leur merci. Des hommes sans aveu, des malfaiteurs de toutes sortes, qui espèrent, à la faveur de l’anarchie politique, commettre impunément leurs forfaits, n’attendent sans doute que le signal du massacre et du pillage. Paris peut être ensanglanté et dévasté avant qu’aucune autorité ait eu le temps et la puissance de se faire reconnaître. MM. Dupont (de l’Eure) et Arago, pensifs, soucieux, obsédés de tristes souvenirs et de plus tristes pressentiments, attendent, assis aux deux côtés de la cheminée, que l’on propose quelque mesure. On ne lit sur leur visage que doute et résignation. M. de Lamartine, au contraire, semble plein de confiance en lui-même et dans l’avenir ; sa pensée s’est déjà familiarisée avec l’élément révolutionnaire. Il sent croître en lui, depuis quelques heures, le courage et l’éloquence, ces deux dons souverains devant lesquels s’incline le peuple. Le génie de la France apparaît à son imagination éblouie. Des espérances exaltées de grandeur et de gloire l’enlèvent au sentiment de la réalité.

Autour de lui se groupent les indécis. M. Crémieux[2]

  1. « Il ne faut pas que la faction de Ledru-Rollin l’emporte, » murmuraient déjà, dans les groupes, des fanatiques dont on retrouvera plus tard l’action hostile.
  2. La nomination de M. Crémieux et celle de M. Garnier-Pagès au gouvernement provisoire, contestées à la Chambre des députés, avaient été aussi le sujet d’une discussion très-vive au moment où l’on entrait dans le cabinet du secrétariat pour délibérer. M. de Lamartine mit fin à cette altercation fâcheuse. « De grâce, messieurs, s’était-il écrié, ne discutons pas à cette heure la validité de nos pouvoirs. Soyons sept au