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HISTOIRE

nement provisoire ne sut pas distinguer d’une vue assez nette la fermentation de quelques esprits surexcités d’avec le mouvement spontané du peuple. Dans son trouble, il grossit l’une et rapetissa l’autre. Le grand essor de la démocratie s’amoindrit pour lui aux proportions d’un complot ourdi dans les ténèbres par un chef habile. Sans tenir compte de la différence des temps et des mœurs, le gouvernement provisoire crut voir dans la personne de Blanqui un nouveau Marat, méditant, du fond de son antre, la destruction et le meurtre. Déjouer et démasquer Blanqui devint sa préoccupation principale. Force nous est donc aussi de donner à cet homme, non pas son importance véritable, mais l’importance exagérée que lui créa la peur. En étudiant, d’ailleurs, cette figure étrange, dès son entrée en scène, à l’occasion du drapeau rouge, nous aurons une mesure exacte pour apprécier la part qu’il convient de faire à l’action du terrorisme dans les événements qui vont se dérouler sous nos yeux, pendant la période révolutionnaire qui commence au 25 février, sur la place de l’Hôtel de Ville, et se termine si fatalement, après les journées de juin, dans les prisons et l’exil.

Auguste Blanqui est né à Nice, en 1805, d’un père qui fut député à la Convention et décrété d’arrestation avec les girondins. Venu à Paris dans les dernières années de la Restauration, avec son frère aîné, Adolphe, tous deux se jetèrent dans le mouvement libéral et restèrent quelque temps ensemble attachés en qualité de sténographes à la rédaction du journal le Globe. Mais bientôt la différence de leur caractère les entraîna dans des voies opposées. Adolphe Blanqui devint célèbre par ses travaux d’économie politique et par un professorat éloquent, tandis qu’Auguste, agité de plus sourdes ambitions, s’affilia aux sociétés secrètes qui complotaient déjà le renversement de la dynastie. La nature avait fait de lui un chef de conjurés. Par une certaine puissance fébrile de pensée et de langage, il attirait a lui et soumettait à ses volontés les hommes de tem-