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HISTOIRE

gouvernement provisoire. Laisser les fonctionnaires politiques de la royauté présider à l’établissement des institutions républicaines, c’eût été, non-seulement une faute, mais encore un scandale. Ceux d’entre les fonctionnaires qui ne rougissaient pas de prétendre à ce triste avantage marquaient assez par cette impudeur qu’ils étaient indignes de l’estime publique, car la révolution qui venait de s’accomplir n’impliquait pas seulement un changement de personnes ou de tendance dans le gouvernement, elle devait être l’application sincère d’un principe éludé jusque-là et d’une conception différente de l’ordre social. Pour aider la société à reconnaître le droit commun fondé sur une véritable souveraineté du peuple, pour lui inspirer confiance dans la bonté des institutions républicaines, il fallait sans doute une certaine expérience des hommes et des choses, mais il fallait surtout un amour raisonné de ces institutions, une conviction profonde de leur parfaite harmonie avec l’esprit du siècle. Les fonctionnaires choisis par MM. Duchâtel et Guizot, eussent-ils voulu se donner pour tâche de faire comprendre à des populations peu éclairées le sens nouveau que le progrès des mœurs allait donner au mot de république, ils ne l’auraient pas pu. La pratique vénale des élections sous le règne de Louis-Philippe avait abaissé leur caractère. Leur servilité, à la fois constante et variable, selon les vicissitudes parlementaires, et qui avait contribué à introduire dans la langue politique le terme abject de ministérialisme, avait énervé en eux cette vigueur de volonté, cette confiance dans la sympathie des masses sans laquelle aucune action morale n’est imaginable.

M. Ledru-Rollin ne faisait donc qu’un acte de pure nécessité en envoyant dans les départements des commissaires chargés d’administrer provisoirement la chose publique et de remplacer les hommes trop notoirement solidaires de la politique du gouvernement déchu. La mauvaise foi et le cynisme de l’apostasie passés dans les mœurs