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HISTOIRE

vit l’effroi s’emparer des imaginations et son nom prononcé avec tremblement, dès qu’il entendit ses flatteurs l’égaler à Danton, il se tint pour assuré d’un pouvoir sans bornes. Plus son langage excédait sa pensée et mentait à la bénignité de son caractère, plus ses paroles étaient en désaccord avec ses intentions, plus il se croyait profond politique. Il pensa naïvement que le meilleur moyen de prévenir les fureurs de 93, c’était d’en laisser gronder la menace. Il ne comprit pas que cet effet momentané, obtenu par des fanfaronnades, ne pouvait tromper que le vulgaire. Il s’entoura avec complaisance d’un appareil théâtral. Autour de lui on s’affubla de costumes excentriques ; on porta des chapeaux montagnards, des gilets à la Robespierre ; on se tutoya sans se connaître ; on affecta de choquer les bienséances par des rudesses triviales ; on mesura-au cynisme des formes l’énergie des vertus républicaines[1]. M. Ledru-Rollin encouragea d’abord ce tapage révolutionnaire sans y participer ; mais bientôt il arriva qu’en pensant étourdir le pays, il s’étourdit lui-même. Poussé par les plus extravagants démagogues, il s’imagina qu’il entraînait le peuple à sa suite. Parce qu’il avait autant de flatteurs qu’un roi, il eut les illusions de la royauté. Il se crut le chef de la démocratie, tandis qu’il n’était en réalité que le porte-voix du jacobinisme.

Lorsqu’il se rendit, le 25 dans la matinée, au ministère de l’intérieur, M. Ledru-Rollin le trouva occupé par M. Andryane, jadis prisonnier de l’Autriche dans les cachots du Spielberg. Délégué provisoirement dans les bureaux par M. Garnier-Pagès, M. Andryane s’était hâté d’user de son

  1. Une des puérilités de cette vieille école révolutionnaire, ce fut de reprendre avec une affectation outrée l’appellation de citoyen et la formule salut et fraternité. J. J. Rousseau, dont l’enthousiasme n’aveuglait pas le bon sens, avait expliqué et condamné cette manie : « Les seuls Français, dit-il dans le Contrat social, prennent tous familièrement ce nom de citoyen, parce qu’ils n’en ont n’en ont aucune véritable idée. »