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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

qu’il avait su faire oublier, il personnifiait aux yeux des multitudes l’idéal de la Russie. Dans la noblesse de son visage, dans la fierté de son port, la nation se plaisait à reconnaître et à saluer son propre génie. Depuis son avènement au trône, l’empereur Nicolas s’était proposé de reprendre la politique tracée à la Russie par le testament de Pierre le Grand. Cette politique d’inspiration orientale, militaire et religieuse, que le libéralisme cosmopolite d’Alexandre avait un moment troublée, visait à la destruction de l’empire Ottoman, à l’anéantissement de la Pologne, au refoulement de la Suède, à la conquête de la Galicie et, par suite, à la subalternité des États de l’Allemagne[1]. Nos hommes d’État du dix-huitième siècle avaient pressenti le danger pour la France de laisser s’avancer vers l’Occident cet ennemi lointain encore, mais rapide, envahisseur à la façon des peuples barbares. Une constante sollicitude pour la Turquie, en même temps que pour la Hongrie et la Pologne, considérées comme les deux boulevards du monde occidental, n’avait cessé d’animer le cabinet de Versailles depuis Louis XIV jusqu’à Choiseul. L’empereur Napoléon, en invitant la Hongrie à reprendre son indépendance[2] et plus tard en s’alliant à

  1. « Dans les vingt-trois ans qui se sont écoulés de 1792 à 1815, disait, au mois de mars 1848, la Gazette d’Augsbourg, la Russie nous a fait plus de mal lorsqu’elle était notre principale alliée contre la France, que lorsqu’elle était l’alliée de la France contre nous. Dans les trente-trois ans qui se sont écoulés de 1815 à 1848, ce que la Russie a fait contre la liberté et la puissance de l’Allemagne, il n’est pas un enfant en Allemagne qui ne le sache dire. Les dangers dont la Russie nous menace ne dépendent pas du caractère de tel ou tel empereur, ils tiennent au caractère de la Russie, à sa politique séculaire, à sa destinée. »
  2. « Hongrois, disait l’empereur, dans un manifeste adressé aux Hongrois après qu’il fut entré à Vienne et daté de Schönbrunn, 15 mai 1809, le moment est venu de recouvrer votre indépendance. Je vous offre la paix, l’intégrité de votre territoire, de votre liberté et de vos constitutions, soit telles qu’elles ont existé, soit modifiées par vous-mêmes si vous jugez que l’esprit du temps et l’intérêt de vos concitoyens l’exigent. Je ne veux rien de vous, je ne désire que vous voir nation libre et indépendante. Votre union avec l’Autriche a fait votre malheur.