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HISTOIRE

promis dans le complot d’avril. Le 21 février, il combattait bravement aux barricades, et il fut désigné, dans les bureaux de la Réforme, pour aller, de concert avec M. Caussidière, prendre possession de la préfecture de police. Deux jours après, M. Caussidière, soit pour éloigner un concurrent incommode, soit plutôt pour créer un autre centre révolutionnaire qui resterait, à l’insu de tout le monde, sous sa direction, envoyait M. Sobrier s’établir rue de Rivoli, n° 16, dans un appartement dépendant de l’ancienne liste civile et lui remettait le soin d’y organiser, au plus vite, un club et un journal. Protégé par M. de Lamartine qui espérait se servir de lui et qui, sans l’avis de ses collègues, lui fit délivrer des armes par la préfecture, Sobrier forma, sur le pied des montagnards de Caussidière, un corps de trois à quatre cents hommes qui, ainsi campé au milieu du quartier le plus paisible et le plus riche de Paris, y causa un étonnement et une frayeur immodérés. Le ton donné rue de Rivoli était celui de la préfecture de police. On y parlait à tous propos de brûler Paris, d’en finir avec les bourgeois. La vue ne s’y reposait que sur des pistolets, des sabres ou des carabines. On se tutoyait en se qualifiant de brigands ou de traîtres. On n’arrivait jusqu’au chef qu’à travers une haie d’estafiers armés jusqu’aux dents et demandant, d’un air sinistre, le mot de passe. Pour compléter le tableau, une table de trente couverts recevait à toute heure quiconque se targuait de patriotisme, tandis qu’un carrosse de la liste civile, attelé de deux beaux chevaux des écuries royales, stationnait en permanence dans la cour, pour porter sur tous les points de Paris les ordres de Sobrier et de ses acolytes. Ce fut un véritable carnaval révolutionnaire, mené par le fou de la République. On en sourit aujourd’hui ; alors il faisait peur. On le croyait redoutable, il n’était qu’extravagant. Le Sobrier républicain restait ce qu’avait été le Sobrier royaliste : le meilleur cœur du monde et le plus faible esprit qui, au fond, n’en voulait à rien ni à personne.