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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

que l’empereur voulait paraître insouciant, se composaient le visage. Le peuple, au contraire, lui attribuant, comme à Dieu, tous les événements, disait que le Goçoudar[1] avait fait chasser Louis-Philippe, parce que ce prince déloyal refusait de lui rendre les millions qu’il lui avait empruntés. « Nous irons reprendre notre Paris ! nasz Pariz, » s’écriait-on dans les groupes populaires. Mais l’empereur ne se laissait pas distraire par ces naïvetés de l’orgueil national. Les dépêches qui lui arrivaient à la fois de tous côtés l’assombrissaient d’heure en heure. Au bruit bientôt démenti d’une contre-révolution dont on faisait honneur, tantôt au maréchal Bugeaud, tantôt au général Lamoricière, avait succédé la nouvelle officielle de la proclamation de la république ; presque au même moment des lettres particulières annonçaient comme accomplies les révolutions qui devaient éclater, quinze jours plus tard, à Berlin et à Vienne.

Il devenait indispensable de prendre, sinon un parti, du moins une attitude politique. L’empereur le sentit ; malgré son trouble, il publia un manifeste dans lequel il se déclarait prêt à combattre pour la justice de Dieu et pour les principes sacrés de l’ordre établi sur les trônes héréditaires ; il ordonna que l’on fît avancer sur la frontière deux corps d’armée et renvoya immédiatement à Varsovie le maréchal Paskewitch. En même temps un agent diplomatique[2] partait pour Paris, chargé de porter à tous les Russes l’ordre de quitter la France au plus vite.

Sur ces entrefaites, l’arrivée du manifeste de M. de Lamartine rendit à l’esprit agité du czar quelque repos. Il éprouva d’autant plus de satisfaction de ce langage pacifique qu’il avait ressenti plus d’inquiétudes en se préparant à la guerre. Il sembla respirer plus librement. « Il n’aurait

  1. Goçoudar : nom familier que le peuple russe donne à l’empereur.
  2. M. Balabine. On raconte que dans son audience de congé, l’empereur lui dit, en lui frappant sur l’épaule : « Prends bien garde au moins de ne pas te faire écharper par ces Parisiens : toutes leurs peaux ensemble ne valent pas la tienne. »