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XLIV.

Que voy-je ? une blancheur à qui la neige est noire,
Des yeux ravis en soy, de soy mesme esblouis,
Des oilletz à l’envy des lys espanouis,
Des doigts qui prennent lustre à ces marches d’hyvoire,

Mais qu’est-ce qu’en oyant encor ne puis-je croire,
Un cœlesle concert, les orbes esjouis,
Qui me vole à moy mesme & pille esvanouïs
L’ame, le cœur, l’esprit, les sens, & la memoire.

Qui pourroit vous ouir, si belle vous voyant ?
Et qui vous pourroit voir si douce vous oyant ?
O difficile choix de si hautes merveilles !

Mon coeur s’envole à vous, tout flame & tout desir,
Certain de me quitter, incertain de choisir,
Le passage des yeux, ou celuy des oreilles !


XLV.

Veux-tu plaider, Amour ? ou s’il faut que j’endure
Les maux que tu me fais ? non, j’ayme mieux plaider.
Je t’adjourne, j’informe, & veux te demander
La somme & l’interest de tout ce que j’endure,

Tu me repareras l’injustice & l’injure
Dont tu use envers moy ; la Raison veut m’aider,
Comptons, Amour, tous deux, commence à regarder
Mes services passez, & m’en paye l’usure ;

Ma Maistresse sera pour moy à ce besoin :
Je la veux pour arbitre, ou juge, ou pour tesmoin,
Ouy, je veux qu’elle soit arbitre de ma vie,

Et ne puis recuser, combien que je cognoys
Qu’elle n’a droict escript, ne coustume, ne loix,
Et que, pour m’achever, elle est juge & partie.