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MAURIN DES MAURES

« Le plant américain a bien changé les conditions de la vie chez nous ! Le Provençal a consenti à s’appeler viticulteur ; on a arraché l’olivier (nos paysans regrettent à cette heure ce massacre absurde) ; il a fallu que chaque cep ait son tuteur : et entre les pieds de vigne trop rapprochés il n’y a plus eu de place pour le blé. Le paysan aujourd’hui travaille plus qu’autrefois ; il a des rêves de bourgeois parce qu’il a appris à lire ; il trouve que la terre ne donne plus assez ; il déserte les champs pour la ville et beaucoup vont follement souffrir, ouvriers d’un arsenal ou d’une usine, dans des galetas, au sommet de maisons qui ont huit étages… C’est fâcheux, qu’y faire ?

— Mais, dit le préfet, je croyais qu’en votre pays où les étés sont torrides, la pluie était appelée, comprise, aimée…

— Mon Dieu ! dit M. Cabissol, certainement on l’aime parce qu’elle est favorable aux récoltes ; mais on la déteste… parce qu’elle mouille.

« Qu’on puisse labourer quand il bruine, comme le font éternellement les paysans du Nord, c’est une chose dont nos paysans n’acceptent pas même l’idée. Dès qu’apparaît, au fond de leur ciel indigo, un pâle nuage, tout le monde en profite pour quitter le travail. Il est même arrivé, il y a quelque dix ans, dans la petite ville d’Aiguebelle, une histoire assez plaisante qui vous montrera mieux que toutes les gloses à quel point les gens de Provence détestent la pluie, ou, si vous voulez, pourquoi ils l’aiment, en faisant semblant de la détester. Aiguebelle est une ville de dix mille âmes, comme vous ne l’ignorez point, monsieur le préfet, puisqu’elle est votre administrée.