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MAURIN DES MAURES

moins grand crime, aux yeux des gendarmes, que l’affront que leur fait cette action honnête. S’il s’imagine, Maurin, que la France lui aura de la reconnaissance pour ce qu’il a fait là, il se trompe. Faites du bien à Bertrand, c’est en fientant qu’il vous le rend ! Et dites au dernier des menuisiers qu’il ne sait pas son métier, vous n’en reviendrez pas entier… C’est pourquoi, Pastouré, tu peux graisser tes souliers, et les faire ferrer à neuf, avec des clous gros comme des clous à ferrer les mulets ; car tu n’as pas fini de courir, résolu comme tu l’es à ne pas abandonner Maurin à sa misère. Nous n’avons pas fini, n’ayant pas commencé ! — de fuir devant les gendarmes à pied et à cheval, devant les hommes de la justice injuste, si tu te mêles, ô Maurin, d’arrêter des voleurs et de dénoncer l’injustice !… Une chose où je reconnais que tu montres du bon sens, c’est que tu as aux pieds des pantoufles et dans ton carnier tu en as de rechange, et aussi de la basane pour les raccommoder. Il va t’en falloir, de la basane ! Mais au moins tu marches sans faire plus de bruit qu’un perdreau qui coule dans la « mussugue » tandis que moi, pechère, dans nos montagnes pierrailleuses, je fais à chaque pas le bruit de trois mulets attelés à une charrette chargée de briques ! Aï ! pourquoi faut-il qu’à marcher en pantoufles dans les bois je n’aie jamais pu m’accoutumer ? Allons, graisse tes souliers, Pastouré. L’huile de pied de mouton, un peu rance, est moins chère que le saindoux… j’en achètererai demain.

Et le géant, en chemise, prenant en mains ses deux énormes souliers, qui pesaient chacun deux livres, les examina longtemps ; puis, les fourrant enfin sous son lit :

— C’est dommage, dit-il, que ça ne soit pas des ailes !