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LA FIÈVRE D’OR.

se rencontrent tous les raffinements du luxe, est une preuve évidente de la merveilleuse facilité avec laquelle les Américains improvisent les villes ; nous nous souvenons avoir trafiqué, il y a quinze ans à peine, avec les Indiens têtes plates, sous l’ombre d’arbres deux ou trois fois séculaires, aux lieux où s’élèvent aujourd’hui de splendides édifices ; nous avons solitairement pêché la baleine dans cette baie immense, la plus belle du monde, presque trop petite à présent pour contenir les innombrables navires qui s’y succèdent sans cesse.

À l’époque où se passe notre histoire, San-Francisco n’était pas encore une ville dans la véritable acception du mot, c’était une agglomération de huttes et de cabanes informes, construites en bois, et qui servaient à abriter tant bien que mal les aventuriers de toutes les nations que la fièvre de l’or jetait sur ces plages, et qui ne s’y arrêtaient que le temps nécessaire pour se préparer à aller aux mines, ou à faire tomber dans le gouffre sans fond des maisons de jeu, les pepites qu’ils avaient récoltées avec tant de peines et de souffrances.

La police était à peu près nulle ; le plus fort faisait la loi ; le couteau et le revolver étaient l’ultima ratio et régnaient en maîtres sur cette population hétérogène, composée de ce que les cinq parties du monde possédaient alors d’intelligences perdues et d’existences déclassées.

Une population, sans cesse renouvelée, jamais la même, vivait dans cet enfer, en proie à cet enivrement continuel et fatal que cause aux hommes les plus fortement trempés, la vue de ce terrible métal, nommé Or.