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LA FIÈVRE D’OR.

Cependant entre les deux Français, l’amitié était tellement vive, la confiance si entière et le dévouement si vrai, qu’après quinze jours de voyage côte à côte, quinze jours pendant lesquels ils abordèrent tour à tour les sujets les plus différents sans cependant toucher, même superficiellement, à celui qu’ils avaient tant d’intérêt à traiter à fond, ils se convainquirent qu’ils étaient vis-à-vis l’un de l’autre absolument dans une position identique à celle qu’ils occupaient avant leur séparation.

Soit lassitude, soit déférence, soit plutôt reconnaissance tacite de la supériorité incontestable de son frère de lait sur lui, pendant ces quinze jours, le comte Louis, heureux peut-être d’avoir trouvé l’homme qui l’avait habitué à penser et à agir pour lui, n’essaya pas un instant de prendre une position indépendante devant l’ancien spahis, et se replaça insensiblement sous la tutelle morale que celui-ci avait si longtemps exercée sur lui.

Les deux autres personnages vivaient entre eux dans la meilleure intelligence : don Cornelio par insouciance peut-être, Curumilla par orgueil.

L’Espagnol, amoureux de la liberté, heureux de vivre au grand air, sans ennui ni entraves d’aucune sorte, piquait ses novillos, râclait sa jarana et chantait à perdre haleine l’interminable romancero del rey Rodrigo, qu’il recommençait imperturbablement dès qu’il l’avait fini, malgré les observations réitérées de Valentin sur le silence qui doit se garder au désert, afin d’éviter les embuscades que, comme autant de toiles d’araignées, tendent incessamment les Indiens sous les pas des voyageurs imprudents ; l’Espagnol écoutait docilement et d’un air contrit