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LES CHASSEURS D'ABEILLES

— Merci encore une fois ! señora ; j’espère vous présenter mes hommages avant mon départ.

Après avoir échangé encore quelques compliments avec son hôtesse, don Fernando sortit de la chambre et suivit don Estevan.

Le désir qu’il manifestait de dormir sous le zaguan, dans un hamac, n’avait rien que de fort ordinaire et parfaitement dans les habitudes d’un pays où les nuits dédommagent, par leur beauté et leur fraîcheur, les habitants, des chaleurs accablantes du jour.

Les ranchos américains ont tous un péristyle formé par quatre et souvent six colonnes qui avancent au dehors et soutiennent une azotea. C’est dans l’espace assez vaste laissé par ces colonnes, placées de chaque côté de la porte d’entrée, que l’on tend des hamacs où les maîtres de l’habitation eux-mêmes passent souvent la nuit, préférant dormir en plein air, à la chaleur torride qui change littéralement en étuves l’intérieur des maisons.

Don Estevan conduisit son hôte au corral, lui expliqua le mécanisme qui en ouvrait la porte, puis, après lui avoir demandé s’il désirait encore quelque chose, il lui souhaita le bonsoir et rentra dans la maison, dont il laissa la porte ouverte derrière lui, afin que don Fernando pût entrer, s’il en avait besoin.

Doña Manuela attendait le retour de son fils dans la pièce où il l’avait laissée.

La vieille dame paraissait inquiète.

— Eh bien ! demanda-t-elle au jeune homme aussitôt qu’il parut, que pensez-vous de cet homme, Estevan ?

— Moi, ma mère ? répondit-il avec un mouvement d’étonnement ; que voulez-vous que j’en pense ? Je l’ai vu aujourd’hui pour la première fois.

La vieille dame hocha la tête avec impatience.

— Vous avez pendant plusieurs heures voyagé côte à côte avec lui : ce long tête-à-tête a dû vous suffire pour l’étudier et vous former une opinion sur son compte.

— Cet homme, ma chère mère, pendant le peu de temps que je me suis trouvé avec lui, m’est apparu sous tant d’aspects différents, qu’il m’a été de toute impossibilité, je ne dirai pas de le juger, mais seulement d’entrevoir une lueur au moyen de laquelle je pusse me diriger pour l’étudier. Je crois que c’est une nature forte, pleine de sève, aussi capable de bien que de mal, suivant qu’il obéira aux impulsions de son cœur ou aux calculs de son égoïsme ; à San-Lucar, où il possède un pied-à-terre, chacun le redoute instinctivement, car rien dans sa conduite ne justifie ostensiblement la répulsion qu’il inspire, nul ne sait positivement qui il est, sa vie est un mystère impénétrable.

— Estevan, répondit la vieille dame en posant gravement la main sur le bras de son fils comme pour donner plus de force aux paroles qu’elle allait prononcer, un pressentiment secret m’avertit que la présence de cet homme dans ces parages présage de grands malheurs. Pourquoi ? Je ne saurais l’expliquer ; lorsqu’il est entré, ses traits m’ont rappelé un souvenir confus d’événements accomplis depuis bien longtemps, hélas ! j’ai trouvé dans les