Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
LES CHASSEURS D'ABEILLES


VII

L’ATTAQUE DU PRESIDIO


Le major Barnum était sans armes, il avait fait le sacrifice de sa vie, il n’avait pas voulu prendre son épée, pour ne pas avoir, en cas probable de conflit, de prétexte pour se défendre.

Arrivé à portée de voix, il s’arrêta, et comme dans ses guerres précédentes souvent il avait eu l’occasion de se rencontrer avec les Apaches, il avait fini par entendre assez bien leur langue pour ne pas avoir besoin d’interprète.

— Que voulez-vous, chefs ? Pourquoi avez-vous franchi le Rio-Grande del Norte et envahi nos frontières au mépris de la paix qui existe entre nous ? demanda-t-il d’une voix haute et ferme en étant cérémonieusement son chapeau, qu’après cet acte de courtoisie il replaça immédiatement sur sa tête.

— Êtes-vous l’homme que les Visages-Pâles appellent don José Kalbris, demanda un des chefs, et auquel ils donnent le titre de gouverneur ?

— Non. D’après nos lois, un gouverneur ne peut quitter son poste, mais je suis le major Barnum, celui qui commande dans la place après lui ; je suis chargé de le remplacer auprès de vous : ainsi vous pouvez me dire ce qui vous amène.

Les Indiens semblèrent se consulter un instant, puis laissant leurs longues lances plantées dans le sable à la place qu’ils occupaient, ils firent bondir leurs chevaux et se trouvèrent en un instant aux côtés du vieil officier.

Celui-ci, qui ne les perdait pas de vue, avait deviné leur intention, mais il n’en laissa rien paraître et les vit auprès de lui sans témoigner la moindre surprise.

Les Indiens, qui comptaient sans doute sur la brusquerie de leur mouvement pour étonner et peut-être effrayer le parlementaire, furent intérieurement froissés de cette impassibilité qu’ils ne purent s’empêcher d’admirer.

— Mon père est brave, dit le chef qui parlait au nom de tous.

— À mon âge on ne craint plus la mort, répondit mélancoliquement le vieillard, souvent même on la considère comme un bienfait.

— Mon père porte sur son front la neige de bien des hivers, il doit être un des plus sages chefs de sa nation ; les jeunes hommes l’écoutent avec respect autour du feu du conseil.

Le major s’inclina avec modestie.

— Ne parlons pas de moi, dit-il : un sujet plus grave nous réunit. Pourquoi avez-vous demandé cette entrevue ?

— Est-ce que mon père ne nous conduira pas au feu du conseil de sa nation ? dit le guerrier d’une voix insinuante. Est-il convenable que des grands sachems, des chefs redoutés, traitent de graves affaires ainsi à cheval entre deux armées prêtes à en venir aux mains ?

— Je comprends où vous en voulez venir, chef, mais je ne puis me rendre