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LES CHASSEURS D'ABEILLES

leur victoire ; les hurlements des Apaches se mêlaient aux cris de douleur et de détresse des Mexicains qu’ils égorgeaient, et aux mugissements sinistres de l’incendie avivé par de violentes rafales.

Le major se jeta résolument au plus fort du combat, appelant autour de lui les défenseurs du faubourg et les excitant du geste et de la voix à une résistance désespérée.

L’apparition du commandant du presidio produisit un effet électrique sur les Mexicains : animés par son exemple, ils se groupèrent autour de lui et répondirent par une fusillade bien dirigée aux attaques de leurs féroces ennemis.

Les vaqueros, acculés sur la pointe des baïonnettes, tournèrent honteusement bride, poursuivis par une grêle de balles.

Grâce à l’énergique action du major, le combat était rétabli, mais le major Barnum était un soldat trop expérimenté pour se laisser tromper par un succès factice ; il comprit que toute tentative pour défendre plus longtemps le faubourg serait folie ; il ne songea, en conséquence, qu’à opérer sa retraite dans le meilleur ordre possible, et à sauver les femmes et les enfants.

Appelant à lui ses soldats les plus résolus et les plus dévoués, il en forma un détachement chargé de maintenir les Indiens pendant que les non combattants s’embarqueraient et traverseraient le fleuve.

Les Apaches devinèrent son projet et redoublèrent d’efforts pour en empêcher l’exécution.

La mêlée devint alors effroyable, un épouvantable combat corps à corps s’engagea entre les Blancs et les Peaux-Rouges, les uns combattant pour le salut de leurs familles, les autres dans l’espoir de gagner un riche butin.

Mais les Mexicains, électrisés par l’héroïque dévouement de leur chef, ne reculaient que pas à pas, résistant avec cette énergie du désespoir qui enfante des prodiges, et qui, dans les circonstances suprêmes, décuple les forces de l’homme.

Cette poignée de braves, à peine composée de cent cinquante hommes, tint en échec pendant plus de trois heures près de deux mille Indiens sans se laisser entamer, tombant les uns après les autres au poste qui leur était assigné, afin que leurs femmes et leurs enfants pussent être sauvés.

Enfin les dernières barques de blessés et de combattants quittèrent le faubourg ; les Mexicains poussèrent un cri de joie, s’élancèrent une fois encore contre les Apaches, et, sous l’ordre du major qui, tel qu’un vieux lion blessé, ne semblait qu’à regret abandonner le combat, ils commencèrent leur retraite, harcelés continuellement par les Apaches.

Bientôt ils atteignirent la rive du fleuve : alors les Apaches furent contraints de reculer à leur tour, écrasés par les paquets de mitraille que le fort lançait au plus épais de leurs rangs pressés.

Cette heureuse diversion permit aux survivants en petit nombre de l’héroïque phalange mexicaine de monter dans des barques et de s’éloigner sans être inquiétés, avec deux ou trois prisonniers dont ils avaient réussi à s’emparer.

Le combat était terminé ; il avait duré cinq heures.