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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Doña Hermosa s’était affaissée sur elle-même ; à demi renversée sur le sol, les yeux fermés, elle attendait le coup mortel.

Manuela se redressa, ses yeux lancèrent un éclair, et, arrêtant résolument le bras du Zopilote :

— Puisque tu le veux, chien ! dit-elle d’une voix forte, que ton destin s’accomplisse ! Regarde-moi, le Wacondah ne laisse pas impunément insulter ses esclaves.

Jusqu’à ce moment la vieille dame avait tâché, autant que possible, de se tenir de façon à ce que son visage restât dans l’ombre et que nul ne pût distinguer ses traits ; mais alors elle se plaça tout à coup en pleine lumière.

En apercevant les bizarres peintures de son visage, les Indiens poussèrent un cri de surprise et se reculèrent avec effroi.

Manuela sourit de son triomphe, elle voulut le compléter.

— Le pouvoir du Wacondah est immense, dit-elle : malheur à qui voudrait s’opposer à ses desseins ! C’est lui qui m’envoie. Arrière tous !

Et, saisissant le bras de doña Hermosa, à peine remise de l’émotion terrible qu’elle venait d’éprouver, elle s’avança vers un des côtés du cercle.

Les Indiens hésitèrent un instant. Manuela étendit le bras avec un geste de suprême commandement : les sauvages, vaincus, s’écartèrent à droite et à gauche et lui livrèrent passage,

— Je me sens mourir ! murmura doña Hermosa.

— Courage ! lui dit Manuela à voix basse, nous sommes sauvées !

— Oh ! oh ! dit une voix goguenarde, que se passe-t-il donc ici ? et un homme se plaça devant les deux femmes en leur lançant un regard moqueur.

— L’amantzin ! murmurèrent les Indiens, et, rassurés par la présence de leur sorcier, ils se pressèrent de nouveau contre les prisonnières.

Manuela tressaillit intérieurement et sentit le désespoir s’emparer d’elle en voyant perdu le résultat de sa ruse ; cependant la courageuse femme voulut tenter un dernier effort.

— Le Wacondah aime les Indiens, dit-elle, c’est lui qui m’envoie vers l’amantzin des guerriers apaches.

— Ah ! répondit le sorcier d’un accent railleur, et que me veut-il ?

— Nul autre que toi ne doit l’entendre.

— Ooah ! dit l’amantzin en s’approchant de la vieille dame, sur l’épaule de laquelle il posa la main en la regardant fixement ; quelle preuve me donnes-tu de la mission dont t’a chargé l’esprit tout-puissant ?

— Veux-tu me sauver ? lui dit rapidement et à voix basse Na Manuela.

— C’est selon, répondit l’autre, dont les yeux étincelèrent, en se fixant sur la jeune fille, cela dépend d’elle.

Doña Hermosa réprima un geste de dégoût.

— Tiens, reprit Na Manuela en lui présentant les riches bracelets en or incrustés de perles fines qui ornaient ses bras.

— Och ! fit le sorcier en les cachant dans sa poitrine, c’est beau, que veut ma mère ?

— Être débarrassée de ces hommes d’abord.

— Et ensuite ?