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LES CHASSEURS D’ABEILLES

sentera pas ; je vous répéterai une fois pour toutes que je vous ai donné ma parole, et vous savez, un honnête homme…

— C’est bien, interrompit le jeune homme, je souhaite pour vous qu’il en soit ainsi ; dans tous les cas écoutez-moi avec la plus grande attention.

— Je suis tout oreilles, seigneurie, je ne perdrai pas un mot de ce que vous me direz, soyez-en persuadé.

— Bien que fort jeune encore, señor Tonillo, reprit don Fernando, j’ai remarqué une chose fort importante, bien que malheureusement peu consolante pour l’humanité : c’est que, lorsqu’on veut s’attacher un homme et s’assurer de son dévouement, on doit s’attaquer, non pas à une de ses vertus, mais le prendre par un de ses vices : vous êtes un des hommes les plus richement doués, sous tous les rapports, que je connaisse.

À ce compliment, le lepero s’inclina avec modestie.

— Seigneurie, dit-il, vous me rendez confus ; un tel éloge…

— Est mérité, continua don Fernando ; j’ai vu peu d’hommes posséder une aussi formidable collection de vices que vous, cher seigneur : je n’ai donc eu que l’embarras du choix avec vous, mais parmi ces vices, vous en avez certains qui sont plus dessinés que d’autres. L’avarice, par exemple, a acquis chez vous des proportions réellement phénoménales : c’est donc à l’avarice que je suis résolu de m’adresser.

Les yeux du lepero pétillèrent de convoitise.

— Que voulez-vous de moi ? fit-il.

— Laissez-moi d’abord vous dire ce que je vous donnerai, puis après je vous expliquerai ce que j’exige de vous. Écoutez-moi donc attentivement ; je vous le répète, l’affaire en vaut la peine.

Le visage de fouine du bandit prit une expression sérieuse et il se pencha vers don Fernando, les coudes appuyés sur les genoux et les yeux à demi fermés.

Le jeune homme reprit, en appuyant sur les mots :

— Vous savez, n’est-ce pas, que je suis riche ? Je suis donc parfaitement à même de tenir les engagements que je prendrai envers vous ; pourtant, afin d’éviter une perte de temps et pour vous ôter tout prétexte de me trahir, je vais immédiatement déposer entre vos mains trois diamants chacun de la valeur de dix mille cinq cents piastres ; vous vous connaissez trop bien en pierres précieuses pour ne pas les estimer au premier coup d’œil ; ces diamants sont à vous, je vous en fais cadeau ; pourtant je m’engage, si cela vous plait davantage, à vous en compter la valeur, c’est-à-dire à vous remettre sept mille cinq cents piastres[1] à votre première réquisition aussitôt notre arrivée au présidio de San-Lucar, contre la remise des pierres.

— Et vous avez les diamants sur vous ! demanda le lepero d’une voix étranglée par l’émotion.

— Les voici, répondit le jeune homme en tirant de son sein un petit sachet en peau de daim qu’il ouvrit et dans lequel il prit trois pierres assez grosses qu’il remit au bandit.

  1. Environ 37, 500 francs en monnaie française.