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LES CHASSEURS D’ABEILLES

longue, — sous aucun prétexte ne quittez ce campement avant mon retour. Bonsoir à tous !

Après ces quelques mots, le chasseur laissa de nouveau retomber sa tête sur sa loyale poitrine et se replongea dans ses méditations.

Ses amis respectèrent le désir qu’il manifestait ainsi de demeurer seul, et ils se retirèrent silencieusement.

Quelques minutes plus tard, tout le monde, excepté don Fernando et les sentinelles, dormait ou semblait dormir dans le camp.


XVII

EN CHASSE


Un majestueux silence planait sur le désert ; on n’entendait à de longs intervalles que les miaulements des jaguars à l’abreuvoir ou les glapissements des coyotes ; le chasseur, depuis que ses amis l’avaient quitté, n’avait pas changé de position, son immobilité était si complète que, si parfois on n’avait vu briller dans l’ombre l’éclair de son regard, on l’aurait cru plongé dans un profond sommeil ; soudain une lourde main s’appesantit sur son épaule. Don Fernando se releva subitement.

Don Estevan était près de lui.

Le chasseur lui sourit doucement.

— Vous voulez me parler, mon ami ? lui dit-il.

— Oui, répondit le jeune homme en prenant place à ses côtés.

— Que me voulez-vous, Estevan ? Je vous écoute.

— J’ai laissé tout le monde s’endormir dans le camp et je suis revenu vous trouver, mon ami ; vous méditez quelque expédition hardie ; peut-être avez-vous la pensée de vous rendre au camp du Chat-Tigre ?

Le chasseur sourit sans répondre autrement.

— J’ai deviné, n’est-ce pas ? reprit le mayordomo, qui surprit au passage ce fugitif sourire,

— Peut-être, mon ami, répondit le chasseur, mais qu’est-ce que cela peut vous faire ?

— Plus que vous ne supposez, Fernando, dit le jeune homme : cette expédition est des plus périlleuses, vous-même l’avez dit ; la tenter seul, ainsi que vous en avez l’intention, est une folie que je ne vous laisserai pas commettre. Souvenez-vous que, dès notre première rencontre, nous nous sommes sentis entraînés l’un vers l’autre d’une façon irrésistible ; nous sommes liés irrévocablement par une de ces amitiés que rien ne doit pouvoir rompre : tout doit être commun entre nous ; qui sait les dangers que vous aurez à courir pendant l’expédition désespérée que vous vous préparez à tenter ? Ami, je viens vers vous et je vous dis ceci : la moitié de ces dangers m’appartient ; je viens vous réclamer la part que vous n’avez pas le droit de me ravir.