Page:Aimard - Les Flibustiers de la Sonore, 1864.djvu/14

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de venir près de vous, persuadé que je n’aurais qu’à vous exposer la situation, pour qu’elle cessât par vos ordres.

Guerrero. Je vous remercie, comte, de la bonne opinion que vous avez eue de moi.

Horace. Ainsi, général, je puis espérer que tous ces mauvais vouloirs vont cesser, et que…

Guerrero. Vous souvenez-vous, monsieur le comte, de la dernière fois que j’ai eu l’honneur de vous voir ?

Horace. À San-Francisco ?

Guerrero. Monsieur !

Horace. Non, je me trompe !… à Paris !

Guerrero. Précisément !… vous rappelez-vous comme vous étiez de méchante humeur ce jour là, faisant de l’opposition quand même aux propositions les plus loyales, et vous irritant sur des questions de principes ?

Horace. J’étais parfaitement désagréable, oui, je m’en souviens, quoique cependant nous nous soyons salués de la façon la plus aimable.

Guerrero. Bref, notre étreinte, au départ, ne fut pas absolument cordiale ?

Horace. Allons, allons, mon cher général, pas d’ambages ! c’est la guerre, n’est-ce pas ?

Guerrero. Oh ! je regrette bien, vraiment, que vous ayez employé ce mot plein d’orages !

Horace. Et vous ne viserez pas mes passe-ports, et vous ne ferez pas préparer mes convois ?

Guerrero, aimablement. Eh ! mon Dieu, non !

Horace. N’existe-t-il pas une autre société qui s’est formée pour suivre le même but que moi ?

Guerrero. Précisément, et je vous en présente l’agent principal, l’honorable master Sharp. (Sharp et Horace se saluent.)

Horace. Enchanté de faire sa connaissance.

Sharp. Dites-moi, sir Horace ?

Horace. Je vous écoute, monsieur.

Sharp. Je voudrais bien faire avec vous une petite affaire.

Horace. Ici… et à pareille heure ?

Sharp. Pour un Américain il y a des affaires partout… toujours !

Horace, riant. Partout et toujours ?

Sharp. Oh ! oui… Si j’étais dans l’île de Robinson, plutôt que de ne pas me livrer à quelque petit commerce, je vendrais aux sauvages des cailloux contre des pierres quitte à leur revendre les pierres contre des cailloux.

Horace. Ah ! voilà un Américain pur sang !

Sharp. Et maintenant, sir Horace, si vous voulez faire la fusion avec moi.

Horace. Je vous rends grâce, je n’ai aucune vocation commerciale, je refuse d’autant plus, général, que vous avez, je crois, une part prédominante d’actions dans cette société.

Guerrero. Eh ! que voulez-vous ? il faut bien placer ses capitaux ! Est-ce que cette société là vous gêne ?

Horace, à Sharp. Moi ? allons donc ! d’ailleurs la concurrence n’est-elle pas l’âme du commerce ?

Sharp. Oh ! yes, la concurrence, j’aime beaucoup quand je suis le plus fort.

Horace. Seulement il est bien malheureux que mes trois cents compagnons se voient réduits aux dernières extrémités par cette concurrence désastreuse.

Guerrero. Je le déplore autant que vous.

Horace. Et voici, qu’en parlant, je me suis laissé aller à promettre à ces braves gens de leur rapporter du pain, des passe-ports en règle, et la route libre.

Guerrero. Et qu’un cas de force majeure vous oblige à faillir à votre promesse…

Horace, dignement. Ah !… Ah ! général, il n’y a pas de cas de force majeure qui puisse relever un gentilhomme d’une parole donnée. Ainsi, c’est votre dernier mot ?…

Guerrero. Ce sera le dernier, si vous ne voulez pas me faire l’honneur de continuer la conversation.

Horace. Eh bien, général, veuillez agréer mes excuses ! (Ils se saluent ; Guerrero fait quelques pas. Horace élevant la voix.) Mes hommes auront des vivres, des convois et des passe-ports !

Guerrero, revenant. Comment cela ?

Horace, tirant sa montre. Général, il est deux heures du matin, quand l’aiguille sera là, tenez, sur six heures…

Guerrero. Eh bien !

Horace. Je serai maître d’Hermosillo.

Guerrero. Ah !…

Horace. Je serai maître de votre ville !

Guerrero, rit, tout le monde s’associe à son rire y compris Horace. Qu’on reconduise M. le comte Horace d’Armançay, le chef de trois cents gredins sans souliers. (Les hommes éclatent de rire.)

Sandoval. Ah ! c’est par trop grotesque !

Horace, riant. Oui, c’est par trop grotesque !

Guerrero. Il paraît qu’ils ont deux canons en bois.

Horace, froidement. Craignez-vous qu’en vous demandant quatre heures je vous fasse trop languir ? Eh bien, dans deux heures, alors !

Guerrero, éclatant. Assez de fanfaronnades, monsieur !

Sandoval. C’en est trop ! Il faut punir tant d’insolence !

Les officiers. Oui ! oui ! (Les Mexicains se précipitent sur Horace, mais Angela se jette entre eux.)

Horace. Être défendu, et défendu par vous, señorita, c’est deux fois du bonheur et je vous en remercie ! Général, messieurs, à bientôt, au plaisir de vous revoir !…

Guerrero, à Cornelio qui attend au fond. Accompagnez M. le comte, et reconduisez-le par les jardins.

Cornelio, à Horace. Par ici, señor !

Don Luis, est arrivé près du comte et lui touche l’épaule. D’un ton dégagé. Bonjour Horace… ! j’ai à vous parler ! Mais pourquoi passer par les jardins ? c’est bien trop long. Venez plutôt par là, cher ami : (Il le prend par le bras et se retournant en riant vers Guerrero, étonné.) Oh ! je connais la maison.

Guerrero, à part. De quoi diable se mêle-t-il ?



Scène VII

Les Mêmes, moins HORACE et DON LUIS.

Sandoval. Ces Français sont fous ma parole d’honneur !

Antonia. C’est possible, mais ils sont charmants, je suis folle de ce fou là, moi !

Guerrero. Messieurs, je vous ai annoncé tout à l’heure la signature de mon contrat de mariage avec ma nièce, et je ne pense pas que les bravades du Français doivent interrompre cette cérémonie. N’est-ce pas, Sandoval, nous aurons encore le temps de signer ce contrat, avant la prise d’Hermosillo ?

Sandoval, riant. Je crois même que nous aurons le temps de marier tous les habitants de la ville… ainsi que leurs descendants.

Guerrero. Faites entrer le notaire mayor, voici quinze jours qu’il est prévenu, tout doit être prêt.

Cornelio. Il attend vos ordres.

Guerrero. Faites-le entrer. Mesdames, le temps presse, qui sait ? il se pourrait que dans deux heures nous fussions tous prisonniers.

Sandoval. Le chronomètre du flibustier doit être dérangé comme sa cervelle.

Sharp. Oh ! j’aurais bien fait la fusion, moâ, avec le chronomètre flibustier.



Scène VIII

Les Mêmes, CURUMILLA, en riche costume de chef indien, s’inclinant devant Angela, puis Le Notaire.

Curumilla. Le grand esprit garde mes frères !

Guerrero, à Curumilla. Ah ! c’est toi, Curumilla ! Messieurs, je vous présente l’un des principaux chefs des tribus Apaches, un ami de la famille. Mais, qui t’amène ? Bonjour, chef.

Curumilla. Mon père, Tête d’Aigle, assistait au mariage de don Raphaël, mon devoir est d’assister aux fiançailles de la fille de don Raphaël et me voilà !

Guerrero. Soyez le bienvenu, Curumilla !

Curumilla, à Angela. Curumilla le chef apache a le regard perçant, sa main est sûre, les balles de Curumilla ont été chercher dans les nuages et sur la montagne les oiseaux aux plumes de neige et les oiseaux aux plumes d’or… Curumilla a coupé le bois de sandal et, assis dans son wigwam, il s’est rappelé la vierge pâle aux yeux de gazelle. (Il tire de dessous son manteau un riche éventail en plumes et va s’agenouiller devant Angela.) Que ma sœur accepte ce présent en souvenir de l’amitié qui liait mon père au sien.

Angela. Ah ! le joli éventail !…

Curumilla, bas. Ne l’ouvrez pas !

Guerrero. Curumilla… je te remercie au nom de ma nièce. Ah ! le chef est galant… ! — Monsieur le notaire !… (Le notaire entre.)

Curumilla, bas à Angela pendant qu’on prépare la table au notaire. Mon frère le Tigrero, le frère du comte Horace, (mouvement d’Angela) a tracé sur cet éventail l’histoire de votre père et de votre mère !… Que ma sœur y jette prudemment les yeux !

Angela. Que dit-il ?

Curumilla, haut. Que le grand esprit donne à ma sœur la courage comme il lui a donné la beauté.

Guerrero. Eh ! quoi, chef, tu pars déjà ?