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blonds et non des cheveux bruns, je vous eusse fraternellement embrassé ?

Don Luis, souriant. Je vous l’ai déjà dit : j’attends.

Horace. Vous avez une sœur, don Luis ?

Don Luis. J’en avais une… autrefois !

Horace. Elle est morte ?

Don Luis. Je ne le crois pas. Elle est partie… loin… bien loin…

Horace. En France ?

Don Luis. Oui.

Horace. Eh bien, lisez cette lettre.

Don Luis. De ma sœur, de doña Carmen. (La parcourant des yeux.) À vous corps et âme, Horace. Elle me recommande de vous aimer comme un frère… Voici de nouveau ma main, mais cette fois, c’est la main d’un homme dont la vie est à vous.

Horace. Et voici la mienne, car j’accepte votre amitié, mon cœur étant assez riche pour la payer.

Don Luis. Pauvre sœur ! vous l’avez beaucoup connue ?

Horace. Oui, j’ai souvent eu l’honneur de la rencontrer dans le monde parisien.

Don Luis. Où, sans doute, elle faisait figure.

Horace. Charmante comme elle était, aurait-il pu en être autrement ?

Don Luis. Mais une étrangère, seule… dans ce monde terrible qu’on appelle le monde parisien. Voyons, soyez franc… La médisance n’a-t-elle jamais cherché à s’exercer sur son compte ?

Horace. J’étais son ami, monsieur !… et celui qui, devant moi, eût osé médire de doña Carmen, se fût bien vite repenti de son impertinence !

Don Luis, fort ému et vivement. Ah ! merci, Horace !… pardon !… Vous m’avez parlé de ma sœur, et il me semble à présent que je vous connais et que je vous aime depuis longtemps.

Horace, se retournant vers la hutte. Pardonnez-moi… n’avez-vous pas entendu une plainte ? (Ils se lèvent de table.)

Don Luis, prenant le comte par le bras. Non, je ne le pense pas… Croyez, comte, que je serai heureux de pouvoir vous rendre ici l’affection que vous avez portée à ma sœur !

Horace, inquiet, voulant à tout moment se soustraire à don Luis. Et je ne manquerai pas d’y faire appel, don Luis.

Don Luis. Et maintenant, voyons. Dites-moi bien vite en quoi et comment je puis vous servir… Je suis déjà, vous avez pu le voir, au courant de vos affaires. Je sais que vous allez à San Francisco, fonder, avec l’autorisation du président, une compagnie à la fois colonisatrice et militaire, pour exploiter, moitié à votre profit, moitié au profit du gouvernement, les vastes terrains de culture et les riches placers de la Sonore.

Horace. Pardon… Mais cette fois, j’ai certainement entendu…

Don Luis. Quoi donc ?

Horace, en souriant. Oh ! vous n’êtes pas ma première rencontre… voyez plutôt…



Scène VII

Les Mêmes, ANGELA.

Angela, elle sort de la hutte aux bras de Luisa et de Cornelio. Non, laissez-moi, je me sens la force d’aller moi-même remercier mon sauveur.

Don Luis, à part. Son sauveur !

Horace, en allant au-devant d’elle. Ah ! señorita, vous ne me devez aucun remercîment… et moi je devrais vous gronder pour votre imprudence… Marcher, lorsque vous êtes à peine remise de votre évanouissement. Permettez-moi de vous présenter don Luis d’Aguilar.

Don Luis. À qui donc ai-je l’honneur ?…

Cornelio. À la señorita Angela de Torres…

Don Luis. De la famille du général Guerrero Azetecas, il me semble ?…

Angela. Sa nièce, señor… Et si j’ai le plaisir de répondre moi-même à vos questions, je le dois à ce gentilhomme qui nous a sauvés des Comanches… Oh ! seigneur cavalier, si vous l’aviez vu pendant le combat… terrible et menaçant !… Il me rappelait le grand saint Michel-Archange, qui est peint dans mon livre d’Heures !…

Don Luis. Je vois avec plaisir que le comte Horace n’a pas obligé une ingrate !… Et… où vous rendez-vous ?

Angela. À Guaymas !

Don Luis. Ah !

Angela. Près de mon oncle, le général.

Tigrero, s’approchant du comte. Capitaine, n’oubliez pas que nous devons partir demain de grand matin.

Horace. C’est juste ! Señorita, la lune est déjà haute à l’horizon, et, croyez-moi, le repos vous est nécessaire ; pardonnez-moi de prendre congé de vous si vite, mais je réponds de votre santé ! À demain, señorita !…

Angela. À demain, comte. (Elle lui tend la main ; il la prend par un mouvement spontané ; il va pour la porter à ses lèvres, puis il hésite ; Angela avance sa main ; il l’embrasse.)

Horace, se retournant et saisissant le regard de don Luis sur Angela. Comme vous la regardez ! quel étrange coup d’œil !

Don Luis. Je me pique d’être observateur, et je cherchais à lire dans les yeux de cette jeune fille, si, dans son cœur, la reconnaissance ne ferait pas bientôt place à un sentiment plus doux !

Horace. Et ?

Don Luis, d’une vois sourde. Et je crois qu’elle vous aimera !

Horace, joyeux. Ah ! Dieu vous entende !

Don Luis, vivement. Au revoir, comte ! (Il disparaît, rapidement ; le comte reste un instant étonné, puis son regard tombe sur Curumilla.)

Horace. C’est étrange ! pourquoi ce brusque départ ?

Tigrero, s’approchant d’Horace. Comte ?

Horace. Qu’y a-t-il ?…

Tigrero. Voilà celui que j’aime le plus au monde, après vous.

Horace, faisant un signe à Curumilla qui s’approche. Alors c’est toi qu’on appelle Curumilla ?

Curumilla. Je suis le frère de ton frère !

Tigrero. Et il vous aimera, car son cœur est de bonne race.

Horace. Voici ma main. (Horace et Curumilla se serrent la main.)

Curumilla. Que faut-il faire ?

Horace, le conduisant près de la hutte où s’est retirée Angela. Veiller sur cette enfant, comme tu veillerais sur ta femme, sur la sœur, sur ta mère.

Curumilla. Je veillerai. (Il déploie son manteau, s’assied dessus et tient son fusil entre ses jambes. Angela et Luisa sont rentrées sous la tente ; les aventuriers se sont groupés d’une façon pittoresque : Yvon s’approche d’Horace et déploie une peau de tigre ; Horace s’en enveloppe et s’étend sur le sol ; Yvon se couche à ses pieds. Un rayon de lune donne en plein sur le camp, la tente d’Angela est restée dans l’ombre. Tout à coup Horace, comme agité, se lève, passe la main sur son front, fait quelques pas, s’approche de la tente d’Angela, s’assied sur un tronc d’arbre et contemple l’endroit où elle repose. À ce moment, en haut sur une éminence, éclairé par la lune, paraît don Luis, qui, accoudé contre un arbre, regarde en silence alternativement l’endroit où repose Angela et Horace étendu sur sa peau de tigre. Silence complet, calme profond d’une nuit américaine.




Tableau III

L’Hôtel de la Polka, à San-Francisco

Une taverne à San-Francisco. — Au loin, la ville bâtie en bois, la mer, foule de buveurs et de joueurs de tous les pays. — Au lever du rideau on entend au loin de grands cris et des roulements de tambour ; arrive un drôle de mauvaise mine battant de la caisse, un autre porteur d’un drapeau noir, enfin, un gentleman assez mal vêtu.




Scène I

SHARP, DICK, AMANDA, Buveurs et Joueurs.

Voix diverses, partant de différents côtés. Un grog ! Du gin ! À boire ! Du wiski ! Garçon ! par ici !

Amanda, au comptoir. Un grog à ce bel homme ! On vous sert ! C’est bien ! Un peu de patience ! (À un mineur au comptoir.) Vous dites ? Ah ! un verre d’eau sucrée, cinq dollars ! (À un autre.) Et vous ? que je vous rende sur votre sac de poudre d’or ! Je n’ai pas de monnaie ! Tiens, quel est ce bruit ? Encore un incendie ?

Voix diverses. On ne voit que cela tous les jours. La ville a déjà brûlé trois fois ! (On se groupe. On monte sur des chaises, des tables.)

Sharp, à un monsieur. Ah ! cinq piastres pour la chaise, je suis curieux, moa. (Il monte sur la chaise et prend la place du monsieur. Le cortège est arrivé en scène ; au fond roulement de tambours.)

Tous. Attention ! Attention !

Dick, l’homme à l’habit, monté sur un buffet. Habitants de San-Francisco. (À Amanda.) Pardon, madame, prêtez-moi le coin de votre comptoir pour cinq minutes. (Il tousse.)

Sharp. Tiens ! c’est Dick… le banqueroutier de New-York… Brave Dick ! Bonjour, honnête Dick !

Dick. Tiens ! c’est maître Sharp, le failli de Washington. Je vous salue cordialement, digne maître Sharp… Habitants de San-Francisco, quelle que soit votre nationalité… Américains,