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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

Le chasseur prouva, par l’adresse et la dextérité avec laquelle il opéra le pansement du blessé, que s’il savait faire les blessures, il savait presque aussi bien les guérir.

Les domestiques contemplaient avec une admiration croissante cet homme extraordinaire, qui semblait s’être métamorphosé tout à coup et procédait avec une sûreté de coup d’œil et une légèreté de main que bien des médecins lui eussent enviés.

Pendant le pansement, le blessé avait repris connaissance, il avait ouvert les yeux, mais il était demeuré silencieux : sa fureur s’était calmée, sa nature brutale avait été domptée par l’énergique résistance que lui avait opposée le Canadien. À la première et cuisante douleur de la blessure avait succédé, comme cela arrive toujours lorsque le pansement est bien fait, un bien-être indéfinissable ; aussi, reconnaissant malgré lui du soulagement qu’il éprouvait, il avait senti se fondre sa haine en un sentiment dont il ne se rendait pas encore compte lui-même, mais qui lui faisait maintenant regarder son ennemi presque d’un air amical.

Pour rendre à John Davis la justice qui lui est due, nous dirons qu’il n’était ni meilleur ni plus mauvais qu’aucun de ses confrères, qui, comme lui, trafiquaient de la chair humaine ; habitué aux douleurs des esclaves qui, pour lui, n’étaient autre chose que des êtres privés de raison, une marchandise en un mot, son cœur s’était peu à peu blasé aux émotions douces ; il ne voyait dans un nègre que l’argent qu’il avait déboursé et celui qu’il espérait en tirer, et comme un véritable négociant, il tenait beaucoup à son argent ; un esclave marron lui sem-