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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

malheur, dont toutes les facultés se sont tendues vers un seul but, la vengeance ?

Ces deux hypothèses étaient aussi possibles l’une que l’autre, peut-être toutes deux étaient-elles vraies.

Pourtant, comme toute médaille a son revers et que l’homme n’est complet ni pour le bien ni pour le mal, cet individu avait parfois des lueurs, non pas de pitié, mais peut-être de fatigue, où le sang lui montait sans doute à la gorge, l’étouffait et le rendait un peu moins cruel, un peu moins implacable, presque humain, en un mot ; mais ces moments étaient courts, ces accès, ainsi qu’il les nommait lui-même, fort rares, la nature reprenait presque aussitôt le dessus, et il devenait alors d’autant plus terrible qu’il avait été plus près de s’attendrir.

Voilà tout ce qu’on savait de cet individu, au moment où nous l’avons mis en scène d’une si singulière façon ; le secours qu’il avait donné au moine était tellement en dehors de toutes ses habitudes, qu’il fallait qu’il fût alors dans un de ses meilleurs accès, pour avoir consenti non-seulement à prodiguer des soins aussi empressés à un de ses semblables, mais encore à perdre autant de temps à écouter ses lamentations et ses prières.

Pour en finir avec les renseignements que nous devons donner sur ce personnage, nous ajouterons que nul ne savait s’il avait une résidence habituelle ; qu’on ne lui connaissait aucune affection ni aucun partisan ; que toujours on l’avait vu seul, et que depuis dix ans qu’il parcourait le désert dans toutes les directions, sa physionomie n’avait subi aucune altération : toujours il avait eu la même apparence de vieillesse et de force, toujours la barbe aussi lon-