Page:Aimard - Les Rôdeurs de frontières, 1910.djvu/327

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
321
LES RODEURS DE FRONTIÈRES

et je vous jure, capitaine, que, depuis que j’ai entrepris ce voyage malencontreux, bien souvent je me suis repenti d’avoir accepté les conditions qui m’ont été imposées : quelque chose me dit que nous n’arriverons pas sains et saufs de l’autre côté de ces montagnes maudites.

— Bah ! bah ! folies que cela, ño Bautista. Vous êtes dans d’excellentes conditions, bien escorté : que pouvez-vous avoir à redouter ?

— Rien, je le sais, et pourtant je suis convaincu que je ne me trompe pas, et que ce voyage me sera fatal.

Les mêmes pressentiments agitaient l’officier ; cependant il ne devait pas, aux yeux de l’arriero, laisser percer rien de son inquiétude intérieure ; au contraire, il lui fallait le réconforter et lui rendre le courage qui semblait prêt à l’abandonner.

— Vous êtes fou, sur mon âme, s’écria-t-il ; au diable les idées biscornues que vous vous êtes fourrées dans votre cerveau fêlé.

L’arriero hocha gravement la tête.

— Libre à vous, don Juan Melendez, répondit-il, de rire de ces idées ; vous êtes un savant, et naturellement vous ne croyez à rien. Mais moi, caballero, je suis un pauvre Indien ignorant, et j’ai foi en ce que mes pères ont cru avant moi ; voyez-vous, capitaine, que nous soyons civilisés ou sauvages nous autres Indiens, nous avons la tête dure, et vos nouvelles idées ne peuvent pas traverser notre crâne épais.

— Voyons, expliquez-vous, reprit le capitaine, qui voulait en finir sans cependant froisser les préjugés de l’arriero ; quelle raison vous porte à suppo-