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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

ce jour ; en un mot, c’est un acte par lequel John Davis, natif de la Caroline du Sud, marchand d’esclaves, rend, à dater de ce jour, à Quoniam ici présent, sa liberté pleine et entière pour lui, en jouir dorénavant comme bon lui semblera, ou si vous le préférez, c’est votre acte d’affranchissement écrit par votre ci-devant maître et signé par des témoins compétents pour vous servir et valoir au besoin.

En entendant ces paroles, le nègre avait pâli comme pâlissent les hommes de sa couleur, c’est-à-dire que son visage avait pris une teinte d’un gris sale, ses yeux s’étaient démesurément ouverts, et pendant quelques secondes il était demeuré immobile, foudroyé, incapable de prononcer une parole ou de faire un geste.

Enfin, il partit d’un éclat de rire strident, bondit deux ou trois fois sur lui-même avec une souplesse de bête fauve et tout-à-coup il fondit en larmes.

Le chasseur suivait attentivement les mouvements du nègre, se sentant intéressé au dernier point à ce qu’il voyait, et éprouvait à chaque instant pour cet homme une sympathie plus grande.

— Ainsi, dit enfin le noir, je suis libre, bien libre, n’est ce pas ?

— Tout ce qu’il y a de plus libre, répondit en souriant Tranquille.

— Maintenant, je puis aller, venir, me coucher, travailler ou me reposer sans que personne m’en empêche, sans que j’aie à craindre les coups de fouet.

— Parfaitement.

— Je suis à moi, à moi seul ? Je puis agir et penser comme les autres hommes ? Je ne suis plus une