Page:Aimard - Les Trappeurs de l’Arkansas, 1858.djvu/384

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sentiments, il était apte à comprendre toutes choses. Rien de ce qui était bon et de ce qui était grand ne lui était inconnu. Comme cela arrive toujours pour les organisations d’élite aux prises de bonne heure avec l’adversité, et livrées sans autres défenseurs qu’elles-mêmes, aux terribles hasards de la vie, son âme s’était développée dans des proportions gigantesques, tout en restant d’une naïveté étrange, pour certaines sensations qui lui étaient et devaient lui rester éternellement inconnues, à cause de son genre d’existence, à moins d’un hasard providentiel.

Les besoins journaliers de la vie agitée et précaire qu’il menait avaient étouffé en lui le germe des passions, ses habitudes solitaires l’avaient à son insu rapproché de la vie contemplative.

Ne connaissant pas d’autres femmes que sa mère, car les Indiennes par leurs mœurs ne lui avaient jamais inspiré que du dégoût, il était arrivé à trente-six ans sans songer à l’amour, sans savoir ce que c’est, et, qui plus est, sans avoir jamais entendu prononcer ce mot qui renferme tant de choses en cinq lettres et qui, dans le monde, est la source de tant de dévouements sublimes et de tant de crimes horribles.

Après une longue journée de chasse à travers les bois et les ravins, ou bien après avoir pendant quinze ou seize heures trappé des castors, lorsque le soir ils se trouvaient réunis dans la prairie auprès de leur feu de bivouac, les conversations du Cœur-Loyal et de son ami Belhumeur, aussi ignorant que lui sur