Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/381

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Elle répliqua :

— On me l’avait dit, je ne le croyais pas.

— Pourquoi ?

— D’abord parce que je ne sais plus qui m’écrivait dernièrement vous avoir rencontré bien loin.

— Où, madame ?

— Là-bas, par delà les mers.

— Je n’ai pas encore trouvé le moyen de vivre un pied en Europe et l’autre… où cela l’autre, comtesse ?

— Mais à Amsterdam ? dit-elle en cherchant, à le percer à jour.

— En Hollande ? fit tranquillement M. de Warrens.

— Non, en Amérique.

— Il y a donc une ville de ce nom de l’autre côté de l’Océan ? demanda avec la plus stricte indifférence le comte, pendant que Martial Renaud regardait la jeune femme, sans pouvoir réprimer tout à fait sa surprise, presque son effroi.

— Vous êtes adorable d’ignorance et de naïveté, répondit celle que l’on appelait Mme la comtesse. Mais laissons cela, et venons-en à la seconde raison qui m’empêchait de croire à votre présence dans cette ville.

— Veuillez parler, comtesse.

— Vous êtes à Paris, et vous ne venez pas me voir ! fit-elle en lui tendant la main.

Le comte la prit et l’effleura de ses lèvres.

Il n’avait pas encore pu s’accoutumer au brutal et grossier serrement de mains qui nous est venu de la libre Angleterre.

— Je mérite ce reproche, répondit-il.

— Péché confessé est tout à fait pardonné. Avez-vous mon adresse ?

— J’en rougis, mais je l’ignore, madame la comtesse.

— Suivez-moi, et vous l’apprendrez, fit-elle avec un laisser aller irrésistible.

— Puis, s’adressant au premier jockey, elle lui dit :

— Vite, à l’hôtel.

La Victoria tourna.

Les deux jockeys, d’une adresse rare, ne prirent même pas la peine de crier gare et partirent à toute vitesse.

Le comte regarda le colonel.

Celui-ci ne bronchait pas. Il attendait les ordres de son frère.

— Impossible de lui résister ! murmura le comte.

Et, piquant des deux, lui et son frère, ils suivirent le rapide équipage de la comtesse Hermosa de Casa-Real.