Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/653

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur l’homme qui la bravait si audacieusement, et lui faisait grâce de la vie au moment où elle se croyait maîtresse de la sienne.

La rage, le désespoir, toutes les passions mauvaises lui montèrent du cœur au cerveau.

Elle voulut parler, elle ne le put pas.

Toute son énergie se fondit dans un geste de menace terrible qu’elle adressa à Passe-Partout, impassible et immobile sur le seuil du kiosque.

Un cri s’échappa enfin de sa gorge oppressée ; elle fit un pas, et, vaincue par les événements successifs qui venaient de se passer, de détruire ses espérances et de la terrasser au moment où elle se croyait victorieuse, elle tomba évanouie sur le parquet.

— Il sera toujours difficile de s’entendre avec une nature… primitive, dit le comte de Warrens de sa voix la plus tranquille. Çà ! deux hommes de bonne volonté pour transporter Mme la comtesse de Casa-Real jusque dans une des salles du château où il sera possible de lui donner les soins nécessaires.

Deux hommes entrèrent.

À l’un d’eux, Passe-Partout donna des instructions qui ne furent pas entendues des autres assistants.

Ils prirent la créole ; puis, la posant sur un des coussins du divan, le premier des compagnons de Passe-Partout lui appuya la tête sur son épaule, et soulevant le coussin à l’aide de l’autre, ils quittèrent le kiosque au milieu d’un silence général.

Ni le duc ni le baron n’osèrent élever la voix ou s’entremettre pour savoir ce que réellement le chef des Invisibles avait décidé sur le sort de la créole.

Ils avaient bien assez de se tirer eux-mêmes d’affaire.

Ses deux affidés partis emportant la comtesse de Casa-Real, Passe-Partout fit un signe ; les porteurs de lanternes disparurent.

Il demeura seul avec les deux personnages dont la comtesse voulait faire ses alliés ou ses complices.

Pour eux, ils se sentaient tombés de Charybde en Scylla. Ils en étaient venus à regretter cette femme qui tout à l’heure les tenait tremblants sous sa parole hautaine et impérieuse, cette femme qui connaissait leur vie passée, leur vie mystérieuse et dont eux ils ne savaient maintenant que le nom.

Ce nom, du reste, ne leur avait rien appris.

Ils avaient eu beau se creuser la cervelle pour deviner ou se rappeler par quel fait de leur existence aventureuse la créole se trouvait avoir besoin de leur secours.

Ils ne devinaient rien.

Ils ne se souvenaient de rien.

Force leur fut de se concentrer pour répondre de leur mieux au nouvel antagoniste qui venait de surgir devant eux.

— Maintenant que nous voici seuls, et entre hommes, nous allons nous entendre rapidement, messieurs, leur dit celui-ci, se jetant sans façon sur le divan, à la place qu’ils occupaient eux-mêmes pendant leur entretien avec la comtesse.

— C’est tout notre désir, répondit le banquier.