Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/189

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expédition est formée, le premier soin des flibustiers est de s’amateloter deux par deux afin de s’aider et de se secourir au besoin. S’il n’en était pas ainsi, nos instincts de bêtes fauves prendraient le dessus, notre avarice et notre intérêt personnel nous domineraient et nous serions seulement un ramassis de brigands sans foi ni loi, essayant continuellement de nous voler et de nous assassiner et par conséquent, incapables d’accomplir de grandes choses ; il fallait porter remède à ce mal mortel, qui aurait amené la destruction de notre association ; grâce au matelotage il fut coupé dans sa racine.

— Voici qui me paraît très-intéressant.

— Plus encore que tu ne le crois. Être matelots c’est n’être qu’un seul homme en deux corps, une seule âme, une même pensée ; confondre ses amitiés et ses haines ; en un mot mettre tout en commun, ne conserver aucun secret l’un pour l’autre, partager fraternellement gloire, fortune, misères, douleurs, sans envie et sans reproches.

Un flibustier ne peut, sous peine d’infamie, abandonner son matelot en péril ; il doit combattre pour lui, le soigner s’il est blessé, le porter sur ses épaules pendant les marches ; mourir avec lui si la circonstance l’exige, plutôt que de le laisser tomber aux mains de l’ennemi ; et tout cela sans discussion comme sans hésitation. Ce que veut faire l’un, l’autre doit le vouloir, et faire réussir si cela lui est possible les projets de son matelot, quand même ces projets contrarieraient ceux que lui-même aurait conçus. En un mot chacun de ces deux hommes est tenu de faire abnégation complète de tout sentiment personnel au profit de l’autre. Quant aux querelles, elles sont formellement interdites et ne peuvent être vidées qu’à la fin du matelotage ; tant qu’il dure il est défendu de se témoigner même la plus légère aigreur en paroles. Tu m’as bien compris, n’est-ce pas, matelot ?

— Oui, matelot. Tout ce que tu m’as dit est maintenant gravé non pas dans ma mémoire mais dans mon cœur.