Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/47

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bâtiment avait pris cette nouvelle allure, lorsque le comte qui, au moyen d’une longue-vue, instrument inventé depuis peu, fouillait minutieusement l’horizon, donna l’ordre de laisser arriver sur la terre, manœuvre qui fut immédiatement exécutée.

Une demi-heure plus tard, on aperçut un longue felouque, qui, sortie d’une des anses de la côte, où sans doute elle se tenait embusquée, se dirigeait vers le lougre, avec lequel elle commença bientôt à échanger des signaux, puis, arrivée à une encâblure environ du lougre, elle mit sur le mât, exemple suivi aussitôt par le bâtiment français.

Une embarcation légère, montée par quatre hommes se détacha alors de la felouque.

Le comte dit quelques mots à voix basse à un matelot qui se tenait près de lui ; celui-ci s’inclina et quitta le pont ; mais bientôt il reparut, suivi du prince de Montlaur.

Pâle, amaigri, le malheureux jeune homme n’était plus que l’ombre de lui-même ; en quelques jours, il avait vieilli de vingt ans ; sa mère ne l’eût pas reconnu ; ses yeux brûlés de fièvre, lançaient des lueurs fauves : une ride profonde s’était creusée entre ses deux sourcils, sa bouche, déformée par l’angoisse, avait un tic nerveux qui lui faisait grimacer un amer sourire, lorsqu’il était en proie à une vive émotion.

Bien qu’en ce moment il fût sous le coup d’une poignante douleur, cependant son visage était calme, froid, digne ; il avait pris sans doute lui aussi une résolution terrible.

— Que me voulez-vous ? demanda-t-il au comte.

— Vous dire que nous allons nous séparer pour toujours.

— Alors, je vais mourir ? reprit-il avec indifférence.

— Non pas ; j’ai promis de ne point attenter à votre vie ; je fais mieux.

— Vous vous connaissez en tortures.