Page:Aimard - Les rois de l'océan, 2 (Vent-en-panne).djvu/223

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l’Olonnais ; il y a trois semaines environ, don Pedro Garcias vint me voir ; il me reprocha de mener une vie trop retirée, de m’occuper trop exclusivement de mes affaires, et il m’entraîna dans un ordinaire, où nous dînâmes ; puis il me conduisit dans une espèce de bouge, nommé le Velorio de las Ventanas, qui me paraît servir de refuge à toute la lie de la population Vera-Cruzaine ; je me trouvais assez dépaysé dans cet endroit, je regrettais fort d’y avoir mis le pied ; mais enfin j’y étais, force me fut de faire, comme on dit, contre fortune bon cœur. Les habitués du lieu jouaient gros jeu ; je me trouvai malgré moi entraîné à les imiter : vous savez, seigneurie, ce que c’est que le mauvais exemple ; je jouai donc ; je vous avoue que, travaillant beaucoup pour gagner mon argent, je n’aime pas le perdre.

— Je comprends cela ; dit en souriant le gouverneur.

— Je remarquai que deux individus qui ne jouaient pas, avaient à plusieurs reprises essayé de me voler ; cela me déplut ; je les avertis amicalement, en plantant mon poignard dans la table, que le premier que je surprendrais essayant de me soustraire l’argent placé devant moi, je lui traverserais la main. Les deux hommes se mirent à rire en chuchotant entre eux ; puis au bout d’un instant, après avoir échangé quelques signes, le compagnon de mon dénonciateur avança la main vers mon or et saisit une dizaine d’onces ; ainsi que je l’en avais menacé, sans hésiter, je lui clouai la main sur la table ; ma surprise fut grande alors, seigneurie : cet homme que, jusque-là, j’avais cru Espagnol, mis hors de garde par la douleur atroce de sa blessure, commença à jurer et à blasphémer dans une langue que je ne compris pas, mais que j’appris plus tard être de l’anglais.

— Vous êtes sûr de cela, señor ?

— Oui, seigneurie, je l’affirmerais au besoin.

— Oh ! oh ! voilà qui est très-grave ; que devint cet homme ?