Page:Aimard - Par mer et par terre : le batard.djvu/358

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Il demeura ainsi pendant deux ans et demi, sans qu’aucun changement s’opérât dans sa situation.

Son esprit n’avait rien perdu de sa lucidité, mais son caractère avait pris une teinte sombre que jamais auparavant il n’avait eue.

Puis on s’aperçut que la paralysie gagnait chaque jour depuis quelque temps et faisait des progrès effrayants. Le visage du malade s’effilait, prenait des teintes d’ivoire jauni ; ses yeux, pleins de rayonnements étranges et fixés dans le vague, semblaient entrevoir déjà le monde mystérieux où, bientôt peut-être, il allait entrer ; il n’appartenait plus à la terre que par le cœur.

Parfois il frissonnait de tous ses membres, une expression d’horrible épouvante convulsait son visage ; il murmurait d’une voix sourde, presque inarticulée, ce seul mot, toujours le même, qu’il répétait parfois pendant deux ou trois minutes sans discontinuer : « Pardon ! pardon ! » sans vouloir répondre à aucune des questions que lui adressait à ce sujet son fils, auquel cependant il témoignait une vive tendresse.

Un soir, le vent sifflait et faisait rage dans les longs corridors de l’hôtel, la pluie fouettait les vitres ; par intervalles, un éclair verdâtre zigzaguait le ciel noir, et la foudre roulait avec fracas dans l’espace. Depuis le coucher du soleil, un orage épouvantable échappé des mornes de la sierra de Guadarama avait éclaté avec fureur sur la ville.

Le duc, qui, depuis plusieurs heures, paraissait dormir, ouvrit les yeux et poussa un profond soupir.