Page:Aimard - Par mer et par terre : le batard.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lames s’entrechoquant et se brisant les unes contre les autres.

Le malheureux brick, emporté comme un fétu de paille par la tempête, plongeait à des profondeurs énormes, tournait sur lui-même, se couchait sur le flanc, se redressait tout à coup agité de tremblements et de trépidations effroyables, qui menaçaient de disjoindre toutes ses membrures et tous ses bordages ; le navire gémissait dans ses jointures avec des accents presque humains, comme s’il eût eu conscience du danger épouvantable auquel il était exposé.

Les lames embarquaient avec fureur par dessus les lisses, couvraient d’eau les matelots accrochés des deux mains aux manœuvres pour ne pas être enlevés, avec toute l’énergie nerveuse que donne l’instinct de la conservation, et roulaient sur le pont en entraînant tout avec elles.

Tout à coup il se fit une éclaircie.

La pluie cessa de tomber, le soleil perça les nuages.

Le jour reparut.

Puis, presque sans transition, comme un rideau qui se lève, le ciel apparut bleu et limpide, les nuages sulfureux s’enfoncèrent à l’horizon comme une armée en déroute, les sifflements du vent cessèrent et la mer tomba.

L’ouragan avait achevé son œuvre, il avait passé sans laisser de traces.

Le pampero avait duré deux heures, deux heures d’angoisses, pendant lesquelles les matelots et les passagers du brick avaient eu constamment la mort devant les yeux et avaient souffert les affres d’une effroyable agonie.