Page:Aimard - Par mer et par terre : le corsaire.djvu/152

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c’était un grand gaillard, assez beau garçon, à la physionomie futée et goguenarde ; quant à ses qualités morales, il était hâbleur comme un boursier marron, malin comme un singe, méchant comme un âne rouge, paresseux avec délices, et comme il le disait lui-même en riant, il pigeait avec les lézards, et il gagnait ; il faisait, pour vivre, les métiers les plus excentriques, sans fausse honte ni remords.

Quand M. Maraval l’avait ramassé par hasard sur les quais de Cadix, dont il semblait compter les pavés, il y avait plus de huit jours qu’il mourait à peu près de faim.

Avec tout cela, il était susceptible d’attachement et même de dévouement au besoin ; en somme c’était un homme de ressources. Olivier avait compris, en quelques jours, ce caractère bizarre il avait agi en conséquence, et, en fin de compte, il était très-satisfait de son nouveau domestique, dont il ne se serait séparé qu’à son corps défendant.

— Je vous remplis les verres, dit Olivier, lorsque la porte se fut refermée sur Antoine Lefort ; donc, messieurs, puisque vous en témoignez le désir, je vais vous raconter l’histoire des vingt-trois ans qui se sont écoulés depuis le moment où j’ai poussé mon premier sanglot, jusqu’au jour où nous sommes ; bien des choses que je vous dirai m’ont été, à plusieurs époques, racontées à moi-même.

Mes souvenirs personnels ne remontent pas plus haut que ma cinquième année ; la première partie de mon existence demeure donc, pour moi, enveloppée d’un épais brouillard, et ce qui s’y rapporte est rempli de nombreuses lacunes que je ne suis