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DE LA FORME

mieux la forme par une ligne nue que par une vaine recherche des détails ; la ligne court et se referme, marquant assez par ses inflexions les traits secondaires qui la rompraient. Bref, il n’est point de beau dessin sans la ligne continue ; aussi les retouches n’y sont jamais par petits traits, mais plutôt par ligne reprenant la ligne, et continue elle aussi. Tous ceux qui ont tenté de dessiner d’après les maîtres ont remarqué la puissance de ces lignes presque superposées, tantôt réunies, tantôt séparées, toujours distinctes. De telles lignes ne sont point dans la nature. Toutefois le mouvement du modèle, en bonne lumière, les fait souvent apparaître comme un écheveau que l’on manie ; et cette observation révèle le secret du dessin, en même temps que la relation du dessin au mouvement. Aussi la ligne suffit. Ce n’est peut-être que dans l’art japonais que l’on peut voir comment une ligne juste, sans aucune autre touche de crayon, fait sortir la forme modelée. Par le contour, le blanc du papier vit.

Tel est donc le dessin à l’état de pureté. Tel on le trouve dans les études préliminaires du peintre et du sculpteur. Mais l’artiste qui se borne au dessin emprunte presque toujours quelque chose d’un des arts voisins. On peut distinguer ici le dessin sculptural et le dessin pictural. Le premier cherche le relief par l’ombre et le modelé, ce qui a pour effet d’alourdir et de fixer la chose en atténuant la ligne. Le vrai artiste sait bien sacrifier beaucoup ici, et se borner de préférence à ces ombres lavées et uniformes, qui marquent pourtant toujours le passage à un autre art ; on croit voir un bas-relief. Mais une étude servile des ombres gâte le meilleur dessin. On peut s’assurer qu’un dessin ombré imité du procédé photographique ne donne jamais rien de beau ; c’est qu’ici l’ombre domine, tandis que la ligne manque tout à fait. Il faut signaler aussi les hachures, qui, par l’abus des lignes, et surtout entrecroisées, nuisent encore plus à la ligne. Ces procédés peuvent être de mode un moment ; mais on ne citerait guère un